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140                   LA REVUE LYONNAISE

 ques bois, plutôt taillis ou bosquets que futaies, et encore au delà,
 les hauts sommets bleuâtres des Cévennes, enlevant le regard: en
 plein azur.
    Si le voyageur arrive de l'autre côté, par les chemins qui vien-
 nent de la Provence, en face du château, la scène change. Les
 terres et les garrigues sont brusquement arrêtées par un relè-
 vement du sol. La pierre secoue son vêtement de terre et se dresse
 en rochers escarpés. Comme le dos hérissé d'un espadon gigan-
 tesque, une arête rocheuse court de l'ouest à l'est.. Les cimes de
 cette arête, déchiquetées par les orages, se découpent comme des
 dents de scie sur le ciel, et les replis des gorges creusées par les
 eaux sur ses flancs sont rougeâtres et noircis comme si la flamme y
 avait passé.
    A la base de la montagne, une ceinture de végétation limitée à
 une altitude infranchissable: ce sont les châtaigneraies verdoyantes
 du sein desquelles émergent les tourelles trapues et les échauguettes
 éventrées du château de Bouscardon.
    Au temps des guerres de religion, les seigneurs de Bouscardon
 avaient embrassé les idées de la Réforme, ils servaient « la cause »
 de leurs tètes et de leurs bras, et avaient guerroyé en Languedoc
 avec le duc de Rohan.
    Trois fois pris et repris, saccagé deux fois, brûlé une fois— plus
 tard— au temps de la guerre féroce et sanglante des Gamisards,
Bouscardon restait encore debout, sur ses assises de granit, comme
 un vieux guerrier tout couturé de blessures, mais fier encore et
 bravant l'ennemi.
    Ils étaient deux, à la fin du dernier siècle, les seigneurs de
Bouscardon, — le père et le fils.
    Le père était grand et fort, de haute et fière mine. Ses larges
épaules montraient une ossature puissante, servie par des muscles
 d'acier. Les cheveux blancs, très épais, étaient taillés drus et
courts, et ses yeux pers brillaient sous de gros sourcils blancs,
broussaille sur laquelle la neige semblait être tombée.
   Il portait sa barbe toute rasée, et sur sa facerougie par le vent,
tannée par le soleil, l'énergie et la résolution étaient gravées; dans
tous les plis, dans toutes les rides de ce vieux visage, la volonté
vivait, s'imposait.