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                                   FÉLIBRIGE                                     583
   Théodore Aubanel, dans son discours de l'Hôtel Continental, a magnifique-
ment exprimé les sentiments du félibrige à cet égard : sa profession de foi est
la nôtre et, par une heureuse coïncidence, l'un des plus illustres amis des féli-
bres, le plus délicat peut-être des poètes français contemporains, M. Sully-
Prudhomme, vient d'adresser, ce matin même, à votre rapporteur une lettre qui
est comme l'écho des paroles de l'auteur de la Grenade entr'ouverte. Cette
rencontre fortuite de deux nobles esprits est significative et l'approbation de r é -
minent successeur académique de notre Florian est trop honorable et précieuse pour
que je ne considère pas comme un devoir de mettre sous vos yeux, dans leur
forme aussi pure qu'élégante, les déclarations mêmes du poète du Vase
Brisé.
   Voici le texte de la lettre que M. Sully-Prudhomme m'a fait l'honneur de
m'écrire :
                                                     « Paris, 26 mai, 1S83.
           « Monsieur et cher Confrère,
   a Je suis profondément sensible au souvenir que les Félibres de Paris et les
Cigaliers ont gardé de mon attachement à leur cause qui est celle du goût naïf
 et pur dans les lettres.
   « J'ai le regret de ne pouvoir me rendre dimanche à leur réunion, mais ils
savent que je m'associe de cœur à leur généreuse émulation et àleur belle entre-
prise de conserver à la langue provençale sa vie littéraire. Il m'ont déjà, l'année
dernière, procuré l'occasion d'exprimer quel vif intérêt je prends au concert de
leurs efforts et combien j'en apprécie les fruits.
   « Permettez-moi aujourd'hui de reconnaître dans le gracieux appel qu'ils
adressent de nouveau en ma personne aux amis de la poésie française, un témoi-
gnage de leur respect pour l'unité morale de la France. Ils veulent, en effet, que la
culture de la langue provençale soit un hommage au génie même de notre pays,
dans une des plus précieuses variétés de ce génie. Ils veulent que la renaissance
des littératures locales ne porte ni ombrage ni atteinte au sentiment national.
Pour moi, je salue en cette renaissance une œuvre de piété envers les ancêtres,
envers ceux dont les mœurs et les idiomes ont fourni les éléments divers qui par
leur lente fusion constituent notre commune patrie.
   « Je vous prie, Monsieur et cher confrère, de vouloir bien vous faire l'inter-
prète de mes sentiments auprès des Félibres de Paris et des Cigaliers, de les
remercier bien cordialement pour moi de leur invitation tout aimable et d'agréer
pour vous-même l'assurance de ma sympathie dévouée.
                                                    « SULLY-PRUDHOMME. »

   En adressant publiquement à M. Sully-Prudhomme les remerciements cha-
leureux delà Société des félibresde Paris, qui sait quel haut prix elle doit attacher
à l'appui d'une telle autorité, permettez-moi d'affirmer encore que le félibrige a
plus à cœur, s'il est possible, que toute autre école poétique, le maintien de l'unité
morale de la patrie, mais, à nos yeux comme à ceux de Sully-Prudhomme, l'unité
n'est pas nécessairement l'uniformité ; nous pensons, en bons patriotes, qu'une
nation est surtout grande par la manifestation variée de ses divers caractères, par
la mise en œuvre de ses ressources de tout ordre, qu'il s'agisse des trésors que la
nature cache dans son sein ou des richesses littéraires laissées parles générations
successives dans les dialectes populaires de nos anciennes provinces. C'est pour
    JUIN 1883. — T. V.                                                     38