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10                         LA REVUE LYONNAISE
   Li vèire s'empliguèron, de bon vin d'alicant ; touti li calignaire
coupèron à-de rèng uno bano de fougasso, se turtè à bèu bôudreà
la santa de Moussu lou Maire ; e'm'acô Moussu lou Maire, quand
aguèron begu e galeja 'n moumen, ié digue :
   — Mis enfant, dansas tant que voudrés ; amusas-vous tant que
pourrès ; siguès toujour ounèste emé lis estrangiè ; aleva de vous
battre e de manda d'estoupin,avès touto permessioun.
   — Vivo Moussu Lassagno ! la jouinesso cridè. E'm'acô sour-
tiguèron, e la farandoulo s'entrinè. Quand tout acô fugue deforo,
iéu diguère à Lassagno :
   — Quand i'a de tèms que âes Maire de Gigougnan ?
   — l'a cinquanto an, moun ome !
   — Gouiounes pas ? i'a cinquanto an ?
   0, o, i'a cinquanto an. Ai vist passa, moun bèu, vounge gouver-
namen. Ecrese pas de mouri, se lou bon Dieu m'ajudo, sènso n'en-
terra 'ncaro uno miejo-dougeno.
   — Mai coume as fa pèr sauva ta cherpo entre tant de gaboui
e de revoulucioun ?
   — Eh ! moun ami de Dieu, es lonpater dis ase. Lou pople, lou
brave pople, demando qu'à èstre mena. Soulamen, de lou mena,
tôutin'an pas lou biais. N'i'a que te dison: Lou fau mena rede.
D'autre te dison : Lou fau mena dous. E iéu, sabes que dise? Lou
fau mena gai.

   Les verres s'emplirent de bon vin blanc ; tous nos amoureux coupèrent l'un après
. autre une corne de fougace, on Irinqua pêle-mêle à la santé de M. le maire; et
alors, M. le maire, après qu'ils eurent bu et gouaille un moment, leur dit :
   — Mes enfants, dansez tant que vous voudrez ; amusez-vous tant que vous pourrez ;
soyez toujours polis avec les étrangers ; hormis de vous battre et de lancer des pro-
jectiles, vous avez toutes les permissions.
   Vive monsieur le maire! cria la jeunesse. Et alors'ils sortirent, et la farandole se
déroula. Quand tout ce monde fut dehors, moi je dis à Lassagne :
   — Combien y a-t-il de temps que tu es maire de Gigognan ?
   — Il y a cinquante ans, mon brave !
   — Tu ne plaisantes pas ? Il y a,cinquante ans?
   — Oui, oui, il y a cinquanle ans. J'ai vu passer, mon beau, onze gouvernements,
et je crois bien ne pas mourir, si Dieu me vient en aide, sans en enterrer encore
une demi-douzaine.
   • Mais comment as-tu fait pour sauver ton echarpe parmi tant de gâchis et de
   —
révolutions.
   — Ça, mou cher homme, c'est le b-a ba des ânes. Le peuple, le bon peuple, ne
demande qu'à être conduit. Seulement, pour le conduire tout le monde n'a pas la