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RÉUNION DE LA FRANCHE-COMTÉ A LA FRANCE 521 Franche-Comté. Une chose lui avait manqué : la résistance. Lors- qu'il entra à Gray, le maire de la ville, M. de Mongin, en lui remettant les clefs, lui dit : « Sire, votre conquête aurait été plus glorieuse si elle vous eût été disputée. » C'était presque le mot du Cid. : « A vaincre sans péril on triomphe sans gloire '. » Il semblait qu'une annexion, opérée aussi facilement, dût être définitive : il n'en fut rien. A la paix d'Aix-la-Chapelle, trois mois après la conquête, la Franche-Comté fut rendue à l'Espagne; on avait eu soin d'en démanteler les forteresses: on songeait à l'avenir. L'Espagne avait perdu la Franche-Comté parce qu'elle n'avait rien fait pour la conserver. Jusqu'alors le gouverneur avait tou- jours été un Comtois : le duc d'Aremberg, le nouveau gouver- neur, fut un Belge. Il appartenait, il est vrai, à l'ancienne maison comtoise de Châlons, et il fut naturalisé comtois; mais ses succes- seurs, Quinones et Alveyda furent des Espagnols. ' Ce qui distingue ces deux derniers gouverneurs, c'est la décré- pitude. A l'arrivée de Quinones, « tout le monde aimait à se persuader, dit un auteur du temps, que cet étranger devait être un grand homme, puisqu'on l'envoyait pour guérir un grand malade, lequel était la Comté. » Si l'on s'y attendait vraiment, on fut trompé : cet étranger ne savait pas même le français, la langue du pays, et ne pouvait marcher sans béquilles. Un jour qu'il se promenait dans son appartement, un auditeur de la chambre des comptes, son ennemi personnel, se présenta de- vant lui. A peine a-t-il ouvert la bouche, que le vieil Espagnol l'interrompt et s'écrie.: « Sachez, Monsieur, que je ne fais nul état de la chambre des comptes; et le roi en a aussi peu besoin que moi de mes crosses! » Puis, laissant tomber ses béquilles, il sort, droit et ferme, devant son interlocuteur ébahi. Ce vieux gen- tilhomme, qui fait un suprême effort, mais ne jette ses béquilles que pour les reprendre, n'est-il pas l'image fidèle de l'Espagne à son déclin. Il crut encore se créer des amitiés dans le pays, eh épousant Mlle de Saint-Mauris, qui avait trente-cinq ans de moins que lui : il se rendit seulement ridicule 2. 1 Le Cid, acte II, scène n. 2 11,357,361.