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LES DEOX PHOFESSEUKS. 357 donnait de si belles espérances. — Mort, répliqua le maître d'école ; la conscription est venue nous le prendre, la Russie a fait le reste ; ma pauvre femme a traîné longtemps, elle ne s'en est pas relevée, elle est allée rejoindre son fils, empor- tant avec elle tout mon bonheur et mes dernières ressources. — Et que faites-vous? lui demanda mon père. — Pas grand chose : je donne encore quelques leçons d'écriture et de calcul, quand j'en trouve, mais elles deviennent rares ; je suis bien vieux, ma main tremble, je n'inspire plus grande con- fiance aux parents, et je demande tous les jours au bon Dieu à rejoindre ma femme et mon fils ; c'est la seule grâce à laquelle je puisse désormais prétendre. — Venez nous voir, lui dit mon père, en prenant congé de lui, vous nous ferez plaisir. Je l'embrassai ; puis, le voyant disparaître, je me mis à pleurer en me rappelant l'école et le jardin, sa femme et son fils, sa bonne mine d'alors et son air heureux. — Comme il a l'air souffrant, dis-je à mon père,comme il a froid!—Nous ne savons pas où il demeure ? je n'ai pas osé le lui demander, répondit-il. Je ne pouvais me rendre compte des diverses sensations qui m'agitaient alors, c'était la première peine à laquelle il m'était donné de compatir, j'aurais voulu que mon père prit le bonhomme chez lui et qu'il eût pu y finir ses jours. J'avais douze ans. Un soir on ramassa un vieillard dans la rue, non loin de la maison qui était venue remplacer l'école et le jardin : c'était mon pauvre maître ! on le transporta à l'hôpital ; il y mourut. HEMRY MONNIER.