Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                               BIBLIOGRAPHIE                                      597
     Notre vieux siècle est une vieille fille. Il aime les racontars, les histoires de
  coin de feu et les souvenirs d'antan.
     De ces Souvenirs, il en éelôt comme des fleurs en mai. Il y en a qu'on
  attendait anxieusement et qui nous sont venus dans un beau livre tout glacé, tout
  parfumé, tout alléchant, celui de Mme Olympe Audouard. Il y en a qu'on
 avait promis et sur lesquels on ne comptait guère, tant l'auteur avec sa fougue de
 poète, avec ses grandes ailes battues des vents lyriques, aurait de peine à
 marcher sur ses deux pieds dans une bonne prose tranquille, en contant placi
 dément quel poisson Dumas père mangeait à son déjeuner et de quelle couleur
 étaient les cheveux du grand Théo.
    Banville s'est sacrifié cependant. Il est aimable M. de Banville. 11 n'a pas su
 résistera de petites bouches roses qui convoitaient des indiscrétions gourmandes.
 II s'est mis à l'œuvre et il a fait des souvenirs; les voilà : Petites études sur-
 Victor Hugo, Henri Heine, Théophile Gautier, etc.. Que cela doit être récréatif,
 spirituel, plein de drôleries inédites égrenées légèrement par la fine main d'un
 poète !
    Poète, hélas ! Trois fois trop poète, M. de Banville ! Le petit nuage rose dont
 on enveloppait les grands hommes d'autrefois, nous est revenu, M. de Banville
 l'a tiré du rancart. Il est là dans son livre, endormi, enroulé sur lui-même,
flottant dans les deux, éteints de ses Souvenirs. Et au travers de sa gaze légère
 amollissant les contours et effaçant les lignes, passent en file indienne tous nos
contemporains célèbres avec un même geste toujours héraldique, une même
mimique toujours solennelle, une même marche toujours drapée et toujours
théâtrale, si lents, si pompeux, si grandis, si divinisés dans la même pose et le
même regard, qu'on les prendrait pour des Dominations posées sur leurs trônes.
Nous nous imaginions, nous naïfs, que ces grands hommes allaient nous raconter
leur histoire, pareils à de vieux braves qui racontent leurs campagnes, sans
ostentation, sans tirer leurs moustaches, plantant là leurs chevaux de bataille et
oubliant leurs anciens panaches, faisant rire et faisant pleurer, simplement. Oh !
racontars mesquins du parfait notaire et non point de poète tutoyant les nuées.
Tous ces messieurs sont des princes adultérins, le diable ne loge jamais en leur
poche ; pour avoir un lingot, ils décrochent une étoile, tous insouciants et pro-
digues d'ailleurs, escaladant l'idéal plusieurs fois entre leurs repas, qu'ils font
d'un clair de lune ou d'un rayon d'aurore. Privât d'Anglemont, un pire gueux s'il
en fût, festoyé chez des brigands, dont il fait danser les filles. Pier angelo Fio-
rentino, ce débardeur de la chronique, tombe à Paris brusquement eomme un
aérolithe ; on se précipite pour voir ce gentil étranger. C'est un grand italien
paresseux, aux yeux de velours pour tout le corps du ballet, à la mine hautaine
pour son directeur, tortillant sans cesse une badine de sa belle main de prélat
chargée de bagues chatoyantes. Il parle peu, dans un langage somnolent de
lazzarcne, avec des impertinences de vaudevilliste. Baudelaire reçoit dans le
vaste salon d'un vieil hôtel — amples meubles de conseiller au Parlement, lourdes
draperies de damas antique — et sur un signe de son petit doigt se dresse tout à
coup une table fastueusement chargée de mets exquis et de flacons de Johan-
nisberg. Nestor Roqueplan couche tous les soirs dans un lit inédit, en bois de rose
ou de campêche, avec des courtines ponceau ou boutons d'or. Un valet de chambre
perspicace devine dans les yeux de M. le Directeur dans quel lit M. le Directeur
désire coucher. Un esprit inimaginable, ce Nestor. Il n'ouvrait pas la bouche, que