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464                 LA   REVUE      LYONNAISE
développé avec affectation une sorte de doctrine morale qui se
résume en une phrase :
    « Tout est pur pour les purs, tout est impur pour les impurs ;
on ne trouve dans les livres que ce qu'on y a mis soi-même. »
   Voici bien une thèse qui donne à réfléchir et prête à disserter ;
elle détermine en même temps le but principal de mon étude et
fait pressentir les nombreuses questions qui se présentent à
résoudre.
   Mais ce que M. Sarcey a écrit dans son journal n'est point une
nouveauté.
    Un écrivain célèbre, patron du paradoxe en même temps, aussi
éminent dans les lettres que peu recommandable par son caractère :
J.-J. Rousseau, a écrit un roman que les réformateurs les plus
hardis hésiteront peut-être à faire figurer dans le programme sco-
laire de l'enseignement des jeunes filles, à moins qu'elle ne le
réclament, c'est : La nouvelle Héloïse
    Rousseau, dans une première préface de son livre, s'exprime
ainsi : « Ce recueil, avec son gothique titre, convient mieux aux
 femmes que les livres de philosophie ; il peut même être utile à
celles qui, dans une vie déréglée, ont conservé quelque amour
pour l'honnêteté.
    « Quant aux filles, c'est autre chose. Jamais fille chaste n'a lu
de roman, etj'aimisà celui-ci un titre assez décidé, pour qu'en
l'ouvrant on sût à quoi s'en tenir.
    « Celle qui, malgré ce titre, en osera lire une seule page, est une
fille perdue ; mais qu'elle n'impute point sa perte à ce livre : le
mal est fait d'avance. Puisqu'elle a commencé, qu'elle achève de
lire, elle n'a plus rien à risquer. »
    Puis, dans une seconde préface, un interlocuteur, mis en scène,
donne la réplique à l'auteur, et lui répond :
    « Mais les filles, n'en dites-vous rien?
    « — Non, répète Rousseau. Une honnête fille ne doit point lire de
livre d'amour. Que celle qui lira ce livre, malgré son titre, ne se
plaigne point du mal qu'il lui aura fait ; elle ment. » Et Rousseau
répète : « Le mal est fait d'avance, elle n'a plus rien à risquer. »
    «•—A merveille, reprend l'interlocuteur, auteurs erotiques, vous
voilà justifiés ! »