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DE LA RESPONSABILITÉ L I T T E R A I R E 465 Cette exclamation ne tend-elle pas à prouver que J.-J. Rousseau lui-même n'attribue pas à sa lectrice seule toutes les impuretés de son roman, et que, s'il se rencontre dans certains livres, des récits, des peintures, des hardiesses d'une imagination désordonnée essen- tiellement offensantes pour une âme quelque peu chaste, l'auteur échappera difficilement au besoin de chercher une justification qu'il n'est pas sûr de trouver en lui-même. Quoi qu'il en soit, voici la thèse dont il s'agit, abritée sous l'au- torité d'un philosophe, célèbre maître en doctrines paradoxales. Mais il n'est pas téméraire de conclure que Rousseau lui-même n'était pas convaincu de la pureté de son livre, et que la parole de ce maître ne suffît pas pour considérer comme résolue la question de savoir si la responsabilité de l'écrivain reste couverte par celle qu'il rejette sur le lecteur lui-même. L'affirmation de M. Sarcey, en forme d'axiome, ne suffit pas non plus pour une démonstration sans réplique. Cette question m'a semblé en situation, d'autant plus, qu'aux époques où la vie sociale d'une nation est troublée, et nous ne pouvons nous dissimuler l'état de l'époque actuelle, on ose beau- coup en paroles et en actes. Les livres, la presse et les discours publics le prouvent assez. Or, on ose avec succès, alors surtout que le nombre des lecteurs se multiplie sans cesse, et que le prestige de toute œuvre imprimée contribue à surexciter l'ardeur fiévreuse de la curiosité, alors aussi que cette ardeur aide à affaiblir le sens moral en obscurcissant le discernement du bien et du mal, du juste et de l'injuste dans un grand nombre d'âmes vacillantes qui croient aisément sur parole un écrivain un peu avisé. Avec cette disposi- tion, on accepte de faciles croyances sans user de contrôle pour discerner la vérité. Mais la vérité que nous voulons rechercher ici repose-t-elle sur des éléments de preuves incontestables de l'action sociale autant qu'individuelle de la littérature, du livre, de la presse en général : C'est certainement un sujet digne d'être médité. L. DUCURTYL. (A suivre.)