Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
             DE LA R E S P O N S A B I L I T É L I T T É R A I R E   461
     Ces devoirs accomplis par la pratique de la saine éducation
  imposent donc le soin de ne laisser arriver jusqu'à l'âme de l'en-
  fance et de la jeunesse surtout que des images, des émotions pures,
  des sentiments nobles et avouables. Or, qui ne reconnaîtrait que
 le livre peut agir ainsi sur l'âme du lecteur? L'observation et
 l'expérience viennent à l'appui de la démonstration.
     Si, en effet, l'on ne voyait dans les mœurs publiques et privées
 tant d'effets désastreux produits par certains livres et journaux,
 on pourrait douter s'il existe réellement des lecteurs atteints pro-
 fondément dans leur esprit, dans leurs sentiments, dans leur mora-
 lité par la littérature contemporaine.
    Quand je parle de littérature, je ne prétends pas classer dans
 cette science des belles-lettres tous les écrits que fait naître la
 fécondité de tant d'écrivains qui sollicitent la curiosité, la renommée,
 et surtout le profit matériel. Mais le terme générique résume l'en-
 semble de la parole écrite, et de toute conception de l'esprit, bonne
ou mauvaise; elle répond d'ailleurs à la prétention des auteurs.
    Quelle que soit l'étrangeté des idées enfantées par la fantaisie ou
par l'extravagance de l'imagination, souvent exprimées en langue
française travestie, la lecture, comme la parole, donnent la vie à
toutes ces manifestations de la pensée humaine.
    Or, malgré les publications de quelques œuvres véritablement,
scientifiquement littéraires, il n'est pas contestable que nous sommes
envahis par des productions au moins légères. Les deux tiers des
livrer sont des romans : romans de prétendue éducation, car
quelques traités ou manuels sont de véritables romans ; romans
d'intrigues, romans de mœurs, romans pour rire, romans histo-
riques, scientifiques, politiques, philosophiques, et surtout licen-
cieux, plus renouvelés et plus favorisés que les autres par la
vogue, on en juge par la multiplicité des éditions.
    Si donc la lecture devient un élément si universel, cela prouve,
sans doute, par son extension dans toutes les classes sociales, que
le désir d'une instruction quelconque n'a pas attendu, pour se sa-
tisfaire, la contrainte de l'enseignement obligatoire. Mais cette
ardeur pour la lecture peut engendrer une instruction pire que
l'ignorance, quand le livre est corrupteur, lorsque les lecteurs
peuvent devenir ceux qu'on a nommés : les victimes du livre.