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L E CONGO 439 de secouer le joug de Makoko. Stanley dut repartir devant l'hosti- lité de plus en plus accentuée des populations riveraines deNcouna. Il se rendit alors en Europe, où il voulait attaquer M. de Brazza sur le terrain de la diplomatie, et empêcher la France de ratifier le traité passé avec le roi indigène des Batékés. On a pu suivre jour par jour, dans les journaux, les péripéties de cette lutte, dans laquelle M. de Brazza montra toujours beaucoup de courtoisie et de modération, et, de son côté, Stanley ne fit pas toujours preuve d'un tact parfait. Tout le monde se rappelle encore cette réunion du Grand-Hôtel, où Stanley, entouré des membres du clubquiportesôn nom,s'éleva avec tantd'amertume contre son coura- geux concurrent : «Lorsque j'ai vu pourlapremiere fois M. deBrazza sur le Congo, en 1880, disait-il, il se présenta à moi sous la figure d'un pauvre va-nu-pieds, qui n'avait de remarquable que son uniforme en loques, et un grand chapeau déformé. Une petite escorte le sui- vait avec cent vingt-cinq livres de bagages. Cela n'avait rien d'im- posant. Il n'avait pas même l'air d'un personnage illustre déguisé en vagabond, tant sa mise était piteuse, et j'étais loin de me douter que j'avais devant moi le phénomène de l'année, le nouvel apôtre de l'Afrique, un grandjstratégiste, un grand diplomate, et un faiseur d'annexions. La Sorbonnele reçoit, la France l'applaudit. Que dis- je? le monde, y compris l'Angleterre, l'admire. » Stanley ne s'aper- cevait pas que ces paroles, pleines d : sarcasme et de dédain, ren- fermaient le plus bel éloge de notre compatriote. Car le difficile est, non pas d'explorer le Congo avec des hommes et des millions, mais de se concilier le [respect de« indigènes avec un habit en loques, et des pieds sans chaussures. Une réponse pleine d'à -propos fut faite à cette inqualifiable sortie : M. de Brazza arriva sans être attendu, demanda à être introduit dans la salle, et, avec une verve et une franchise toutes françaises, porta la santé de Stanley, disant qu'il voyait en lui un émule, mais non pas un rival. Les raisons données par Stanley, dans cette soirée mémorable, étaient bien mauvaises et bien peu concluantes ; il apporta ensuite, lui et ses amis, d'autres arguments qui paraissaient meilleurs au premier abord. Il prétendait qu'établir la domination française au Congo, c'était monopoliser au profit de notre nation une influence qui devait être exercée, dans un but purement humanitaire, par MAI 18S3. — T. V. 89