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                                JOSEPH ROUX                                       38?
     D'un simple trait d'histoire locale, le poète tire un récit qui nous émeut sous
  sa parole. C'est court, naïf même et pourtant le souffle héroïque a pénétré cette
  chanson. Qui donc fait ces merveilles, sinon l'amour du sol natal? Il n'y a, selon
  nous qu'un autre poète en Europe qui réussisse comme J. Roux à communiquer
  cette allure épique à des scènes d'héroïsme vulgaire. Ce poète est M. Fred.-Guil.
 Weber, l'illustre auteur des Dreizehnlinden (Le couvent des Treize-Tilleuls).
 Nous espérons faire bientôt connaître en France cette admirable légende qui a
 mis d'un seul coup son chanteur à la première place de la poésie allemande con-
 temporaine .
     Sont achevés aussi, dans ce même genre épo-lyrique dont M. Weber est la
 glorieuse incarnation, Amblar le Ménestrel ou la légende du troubadour qui
 sauve, avec une chanson, la ville de Tulle des griffes de Lancastre, et surtout
 le magnifique poème de Charlemanlia. C'est un épisode de l'incursion des
 Normands en Limousin. Il y a dans cette geste, comme enchâssé dans le récit, le
 contraste merveilleux d'unhymne de gloire à l'Empereur, récité par un Limousin,
 dans l'intervalle d'un banquet, avec une imprécation de haine, éclairée d'aspirations
 à la mort, qu'un guerrier normand fait entendre de sa prison souterraine...
    Nous avons parlé de simplicité, de naïveté même, dans la pensée poétique de
J. Roux. N'insistons pas outre mesure. La vieille question de la naïveté des
épiques est bien chancelante aujourd'hui. Parce qu'une épopée est le fruit d'une
civilisation naissante — ou mourante, quelquefois, voyez les épopées méridio-
nales ! — il ne s'ensuit pas fatalement que le chanteur soit ignorant des autres
littératures. Les Traités de Dante sont là pour appuyer mon assertion. Et en
somme, cette naïveté du cœur, commune à tous les poètes, ne suppose pas la
naïveté de l'intelligence. Nous le montrerions chez J. Roux, si nous avions à nous
arrêter sur ses jugements littéraires.
    La forme de ses chansons a néanmoins dans son ampleur narrative une sim-
plicité bien apparente, assez généralement soutenue. On remarque d'ailleurs chez
lui une singulière tendance à perdre par moments, à force de simplicité, le soufflé
poétique lui-même. Demême que l'empire de la grâce est voisin du petit royaume
de la mièvrerie, l'extrême simplicité peut confiner au prosaïsme. C'est ainsi que
nous eussions aimé le début de la chanson Mounsenhour Boria (histoire d'un
missionnaire) plus digne de la fin, qui est fort belle et surtout la préparant mieux.
Nous en dirons autant de la conclusion du Mounged'En Glandier. Hâtons-nous
d'ajouter à cette critique légère que si Y Épopée limousine a quelques faiblesses
ou inégalités, elle se relève parfois superbement, comme dans le Toumbel de
Clemens V, pèlerinage du troubadour au tombeau du pape qui jugea les
Templiers, où une fin tout à fait grandiose, rythmée par la marche ascendante
des strophes, fait oublier l'inutilité de quelques détails du début. Ce dernier
poème a certaines pages qui peuvent lutter avec tout ce que la Renaissance
du Midi a produit de plus achevé. Certaines des chansons d'ailleurs, telles que
Bernât de Ventadourn, qui nous montre le poète devenu moine et tressaillant
sur son lit funéraire, au moment où une des nobles dames qu'il avait chantées
vient poser en pleurant une main sur son front, telles encore que la Marqueza
de Pompadourn ou Gaifre d'Aquitanha, pour ne pas répéter les noms que
nous écrivions tout à l'heure, sont de purs chefs-d'œuvre d'art et d'histoire
mariés.