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JOSEPH ROUX 383 Sur l'initiative de M. de Berluc-Perussis, on préparait à Avignon (1874) un centenaire de Pétrarque. L'élément méridional devait, sinon y dominer, au moins y être mis sur un pied d'égalité parfaite avec les éléments français et italien. Des circulaires avaient été lancées dans toutes les directions du Midi pour convier les poètes de langue d'oc au grand concours international. Un de ces prospectus tomba entre les mains de Joseph Roux, alors curé de Saint- Sylvain. Ce fut une révélation. Il écrivit sur le champ un sonnet « en patois » qui arriva assez tôt au concours pour y remporter une médaille de bronze. C'était le premier succès littéraire de l'abbé Joseph Roux; cette date lui donne son rang dans la Renaissance du Midi. * Petit neveu de Nicolas Béronie, l'auteur du dictionnaire, et d'une famille intelligente qui avait bercésa jeunesse au récit des légendes locales, Joseph Roux était prédestiné à devenir poète limousin. A Servières, sur les bancs du collège, il avait balbutié des vers patois. Puis, pour faire comme les autres, il avait écrit en français ; non toutefois sans forcer sa nature. Cette contagion de l'exemple a été, dans ce siècle, le grand malheur de bien des méridionaux. Que d'organisations supérieures ainsi dévoyées!... Mais Joseph Roux ne désespérait pas. Cherchant toujours sa voie, poète au fond, il avait successivement donné ses Hymnes et poèmes et certains Souvenirs de Lourdes l, Encore un nouveau-né Qui fut tardif à naître et qui demande à vivre Gomme son frère aîné, assez dignes du premier recueil, et empreints comme lui d'une naïveté de chants populaires dans une flexibilité rhytmique toute moderne. Cette double ligne était trop peu indiquée cependant pour faire présager encore un grand poète. Mais voilà soudain qu'un autre horizon s'ouvre à lui. Un premier essai limousin, quoi- que faible, est couronné. Joseph Roux naît à une nouvelle vie. Son instrument, sa langue, est fruste encore entre ses mains. Mais il a résolu de surpendre le génie du-doux idiome dans les profondeurs mêmes de son secret. Aucun prédécesseur à consulter, rien qu'un dictionnaire où il a peine à reconnaître le parler de ses paysans. Il observe, il essaie, il s'écoute chanter. Ses premières poésies limou- sines, toutes empreintes de ce tâtonnement des créations nouvelles, dirigent vers sa solitude les yeux de la Provence. « Je voudrais faire de vous un félibre, » lui écrit Mistral le 21 septembre... Il n'y a pas six mois encore qu'il a entrevu la lumière; et déjà il a approfondi l'œuvre des Provençaux, il a retrouvé dans son bas Limousin le langage des troubadours, et s'est même fait un petit bagage sur lequel il peut justement s'appuyer pour entrer dans le félibrige. D'ailleurs Mistral ne lui a-t-il pas crié en imprimant dans YArmana son beau sonnet à Clément VI : « Ma conviction est de plus en plus accentuée : Vous êtes un franc poète. Vous arriverez à la célébrité, si vous le voulez, car vous avez ce que peu d'hommes ont enaore : la foi de Dieu, d'abord, ensuite la profonde con- naissance des choses que vous chantez, c'est-à -dire le sentiment de la nature et le langage naturel 2 . » Six mois de plus, et notre poète qui a singulièrement grossi < Paris, Putois-Crété, 1873. 8 Lettre du 10 d é c , 1874. AVRIL 1883.— T. V. 25