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368                         LA R E V U E     LYONNAISE

 vains, ont rendu de réels services à l'art, en suivant les fouilles
 faites dans le sol, pour y recueillir et conserver pieusement dans
 leurs cabinets, tous les menus objets d'antiquités qui s'y trouvaient.
 Du reste, le goût de la curiosité ne date pas seulement de la
Renaissance. En 1863, M. Edmond Bonnafé a publié à cet égard
des documents des plus intéressants dans ses Collectionneurs de
l'ancienne Rome, et, en 1873, dans ses Collectionneurs de Van-
cienne France. Cet écrivain a vengé aussi ces modestes amis des
arts des sarcasmes dont, déjà, dans l'antiquité, on se plaisait à les
poursuivre. « En effet, dit M. Bonnafé, Gicéron, n'a-t-il pas dit à
un ami, quand je vous vois en contemplation devant un tableau
d'Echion, une statue de Polyctète, admirant, poussant des cris, je
vous dis que vous êtes l'esclave de niaiseries, de joujoux, bons
pour les enfants. » Sénéque déplorait mélancoliquement la passion
des curieux « pour des objets, poids matériel auquel ne saurait
s'attacher une âme pure et qui se rappelle son origine ». Lucien, à
son tour, n'a-t-il pas dit à un bibliophile : « Pourquoi tous ces livres ?
Tu peux les étendre pour te coucher dessus, les coller sur ta peau,
t'en habiller, tu n'en seras pas plus savant ; le singe est toujours
singe, eût-il un habit d'or1.»
   Et M. Bonnafé ajoute, avec raison : « Les grands historiens ne
parlent même pas des curieux ; on y cherche en vain les noms de
Bagarris, le premier fondateur de notre cabinet de médailles ; de
Jabach, qui s'est ruiné pour laisser à la France cent tableaux et
cinq mille dessins incomparables ; cherchez Là Moue, Qrolier,
Montarsy, Gaignières, Vaudreuil, Julienne et cent autres qui ont
déterré, sauvé de la ruine ou enlevé à l'étranger des milliers de
chefs-d'œuvre ; leur nom est même inconnu. Peut-être auraient-ils
dû réserver une petite place à cesoubliésde l'histoire qui, enfermant
nos musées et nos bibliothèques, ont maintenu la belle tradition
dans nos écoles et fondé notre suprématie industrielle et artistique


  1
    I/évêque constitutionnel Grégoire s'est plu aussi à jeter la pierre aux collection-
neurs. Le 12 avril 1794, il prononçait à la tribune de la Convention les stupides
paroles suivantes: « Des objets rares et précieux avaient été recueillis ou plutôt
accaparés pour servir l'ambition des familles des ci-devant nobles. Tel est le
Dépôt de l'émigré Castries composé de plus de vingt mille pièces et qui sûrement à
coûté plusieurs millions. »                      (V. Moniteur       universel.)