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S64 LA REVUE LYONNAISE — L'habitude leur fait regarder comme léger le joug qui vous semble si lourd. — Croyez-vous, Monsieur ? reprit-elle avec une pointe de raillerie dans la voix. Auraient-elles oublié les excellents principes qu'on leur inculque au point de vous faire leurs confidences?Pour ma part, il me semble que si j'étais ainsi prisonnière, il me vien- drait de furieuses tentations de prendre la clef des champs. Ah ! parlez-moi de notre belle liberté américaine. Nous sortons, nous voyageons, nous montons à cheval comme les jeunes gens, avec eux, sans que personne songe à s'en étonner. — En France, reprit Christian, la captivité dont vous parlez n'a qu'un temps. Le mariage est la porte de salut par laquelle les prisonnières sortent de la cage, pour me servir de votre expression. — Triste salut, bien souvent. Combien en est-il qui prennent le mari de leur choix? La plupart ne le reçoivent-elles pas des mains de leurs parents? Consulte-t-on autre chose que les convenances et la dot ? — Oui, reprit Christian d'une voix empreinte d'une gravité qui ne lui était point accoutumée, qu'il y aurait moins d'unions mal assorties, d'existences brisées, si, au lieu de compter des bank-notes, on prenait plus de soin d'interroger les sentiments de ceux qui vont être unis pour la vie. Et voilà pourquoi il se rencontre des hommes ayant le cœur un peu haut placé qui répu- gnent à des marchés de ce genre et qui aiment mieux conserver leur indépendance. Indépendance bien lourde parfois à porter et solitude bien amère, mais préférable mille fois aux chaînes dorées qu'ils n'ont point voulu se laisser mettre au cou. Jamais, pour ma part, je n'avais songé à toutes ces vérités comme j'y songe au- jourd'hui, jamais je ne les avais comprises comme vous me les faites comprendre. Ce doit être si beau, un mariage bien uni, où l'affection vraie a présidé aux fiançailles. Marcher dans la vie appuyés l'un sur l'autre, partager les mêmes joies et les mêmes peines, n'ayant tous deux qu'un but. Ah ! quelle différence avec cette existence vide, désœuvrée, que beaucoup nous envient qui ne la connaissent pas, mais où l'âme souffrante aurait si souvent besoin d'une consolation. Mais qui donc voudrait nous jeter cette