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358 LA REVUE LYONNAISE lui venait des foins coupés et entassés de chaque côté de la route ; ravi, il écoutait les piaulements des petits oiseaux perchés sur les poteaux du télégraphe et sur les grands arbres ; par tous ses pores la puissante et ineffable harmonie du soir le pénétrait. Né dans la province, possesseur d'une fortune importante, ayant, tout jeune encore, eu le malheur de perdre ses parents, il avait pris la vie par le côté qui lui sembla le meilleur. On aurait pu lui re- procher un peu d'égoïsme. Les utilitaires à tout prix n'eussent pas manqué de trouver qu'il gaspillait, sans profit pour la société, les dons précieux qu'il tenait dé la nature. Assurément il aurait pu, si telle eût été sa volonté, être tout comme un autre, et même mieux que bien d'autres, avocat, médecin, ingénieur ou politicien. Mais l'obstacle, c'était qu'il ne le voulait pas. Jugeant, non sans une apparence de raison, qu'il était bien libre de faire ce qui plus lui plaisait, dans un pays où tout le monde a le mot de liberté à la bouche, il laissait dire et allait son train. Ce n'est pas que pour cela il eût le moiiis du monde négligé le soin de son intelligence. Au contraire, passionné pour toutes les belles choses, il cultivait assidûment, ce que d'aucuns auraient eu peine à croire, les lettres et les arts : il avait étudié les sciences, et comme Panurge, de joyeuse mémoire, il eût volontiers discuté avec chacun et fait quinaud plus d'un parmi les lettrés. Il passait chaque année l'hiver et le printemps à Paris et savait admirablement mettre à profit, en épicurien délicat qu'il était, le séjour qu'il y faisait. 11 tenait par-dessus tout à vivre à sa guise, et ne réglait sa conduite d'après la commune opinion que lorsque celle-ci était conforme à son avis personnel. Sa fantaisie était le Mentor qu'il consultait le plus volontiers : aussi était-il assez irrégulier dans ses goûts et journalier dans ses humeurs. Au demeurant, le meilleur et le plus obligeant garçon du monde, pour le très petit nombre de personnes qu'il honorait de son amitié. Quand l'été arrivait, le provincial prenait le dessus, et le goût très vif qu'il avait toujours éprouvé pour la campagne se réveillait. Vite il bouclait ses malles et s'en allait, loin du boulevard, res- pirer le parfum des champs et oublier pour quelque temps les chefs-d'œuvre des Musées, les trésors des grandes bibliothèques, les fins soupers dans les cafés à la mode et les étoiles de diverses