Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
308                   LA REVUE LYONNAISE
liberté. Comment le monde, ou, comme l'on disait alors, le siècle,
c'est-à-dire les hommes et les femmes qui vivaient dans nos cités
 delà vie ordinaire et profane, se seraient-ils soustraits à cet en-
 traînement régénérateur ?
     Le mouvement atteignit jusqu'aux âmes les plus rebelles. Il ne
 communiqua pas à toutes la flamme de l'apostolat ou le désir de
 l'ascétisme ; mais il les amena presque toutes à se replier sur elles-
 mêmes, à s'étudier, à se dépouiller silencieusement, à imposer un
 frein spontané et intime à la nature frémissante, qui cherchait à
 secouer le joug et à les emporter au dehors. L'antiquité n'avait
 qu'à peine entrevu, par les yeux de Pythagore, cette haute disci-
• pline morale que se donne l'esprit par une secrète et périodique
  analyse de ses penchants et de ses erreurs. C'est le Christianisme
  qui a développé et accentué la célèbre maxime du philosophe :
  Connais-toi toi-même ; c'est lui qui a fait du cœur humain non
  seulement un objet de spéculation curieuse, mais un instrument
  de son propre amendement et de sa propre perfection. Les âges
  héroïques de la foi avaient vu cette maxime appliquée dans les
  Thébaïdes, puis dans les cloîtres, et à ceux qui en nieraient l'admi-
  rable pratique dans les monastères du moyen âge, il suffira de
   rappeler un seul nom et une seule plume, que les Grecs,
   s'ils l'eussent connue, eussent qualifiée de presque divine, la
  plume immortelle qui a écrit Y Imitation de               Jésus-Christ.
   Mais il était réservé au dix-septième siècle de la mettre en honneur
  jusque dans le monde lui-même, et de lui donner pour adeptes ceux-
   là mêmes qui en étaient le plus éloignés ou à qui elle pouvait
   sembler le plus antipathique. Il était réservé à ce temps, pourtant
   si fertile en chutes, de faire delà vie intérieure non seulement une
   habitude, mais une science, presque un art, et de nous en laisser des
   monuments inimitables, qui n'avaient pas eu de précédents, et qui
   ne seront, à coup sûr, jamais plus nombreux.
     Ne nous étonnons pas de ce contraste : si la surface de l'âme était
  souvent peu chrétienne, le fond l'était généralement. Il n'était
  besoin que d'une occasion pour rallumer la flamme qui s'y cachait.
  Tous ne recouraient pas également aux pratiques spirituelles, mais
  presque tous en reconnaissaient l'efficacité. Les existences les plus
  frivoles et les plus agitées au dehors se réservaient à certains