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50 LA REVUE LYONNAISE ce n'est point le spectacle quotidien que le poète ou l'artiste voit se dérouler à ses regards : l'écueil de ce système, c'est l'abus des généralités, le manque absolu de couleur dans le style, la quintes- sence de l'expression : il expire dans les productions anémiques de l'école classique du premier Empire. Pour le réaliste, au con- traire, les abstractions, les conceptions générales n'existent pas : il n'y a que des individualités qu'il faut peindre exactement telles qu'elles sont, sans y lien retoucher, sans en rien retrancher. L'abus do la réalité pittoresque est l'abîme où vient échouer cette doctrine qui a produit dans ces derniers temps les œuvres illisibles dont il est superflu de redire ici les noms. Pour éviter ces deux écueils également périlleux, il faut d'abord se bien convaincre de cette vérité que l'imitation de la nature n'est pas le but, mais seulement le moyen de l'art. S'il devait se borner à une contrefaçon plus ou moins ressemblante de la nature, l'art n'aurait plus de raison d'être : car si telle était sa loi suprême, quoi qu'il fît, quelque effort qu'il tentât, il serait toujours inférieur à son modèle, de toute la distance qui sépare l'infinie puissance du Créateur des ressources bornées et finies du génie humain : il serait toujours incapable de produire cet effet merveilleux qui n'appartient qu'à la Divinité, de donner la vie à son œuvre. Lais- sons encore une fois la parole à l'auteur : « L'œuvre d'art ne pouvant s'emparer de la réalité et de la vie, inséparables de la nature, doit donc acquérir un mérite qui lui soit propre, une qualité distincte qui devienne sa raison d'être. « Le but de l'art est de produire en nous un effet que la nature n'y produirait pas, de manifester à notre esprit ce que la nature ne manifeste pas. L'art crée un monde qui lui appartient, qui a son principe et son but hors de la nature. En descendant de sa source pour atteindre sa fin qui est dans notre cœur, l'art côtoie la na- ture, la traverse pour ainsi dire; lui emprunte une partie de ses richesses, la force de servir à sou usage ; mais il ne se confond jamais avec elle, ni dans ses œuvres, ni dans l'effet produit sur notre âme. « L'art ne procède pas de la nature; mais il procède comme la nature d'un monde supérieur à tous deux, du monde invisible, de l'idéal divin. L'art et la nature ont tous deux la même fonction