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promettait de répandre sur la ville, les deux étrangers en emportèrent,
comme impression finale, celle de ténèbres opaques. Ils s'embarquèrent à
deux heures du matin, par une nuit noire, sur la Saône, avec une centaine
d'artilleurs. Les rives étaient à peine indiquées de temps en temps par
quelque faible lumignon et c'est seulement à la vitesse plus forte du courant
qu'on s'aperçut que l'on avait passé de la Saône dans le Rhône. A mesure
que le jour se leva, le paysage apparut dans toute sa splendeur, attristée
seulement par des ruines récentes, œuvre de la Révolution, moins vénéra-
bles et moins pittoresques que leurs voisines, restes de l'antiquité et du
moyen âge. La chaleur devint très forte ; Piickler fut affligé d'une telle
migraine qu'à l'arrivée à Valence où l'on devait passer la nuit, il n'eut pas la
force de descendre à terre. Les soldats ne s'étaient pas laissé incommoder
par le soleil comme lui. Ces Français débrouillards eurent tôt fait de décou-
vrir sur le bateau des morceaux de bois qu'ils disposèrent habilement en
étendant leurs capotes par dessus, de manière à créer des tentes conforta-
bles. Leur conversation fit dresser l'oreille à l'officier saxon de la veille :
« Ils s'entretenaient, dit-il, de toutes sortes de sujets qui les menaient assez
fréquemment sur le terrain scientifique. Pour nous autres Allemands, c'est
une cause de profond étonnement de voir combien le simple soldat français
est souvent cultivé, plein d'ambition, ce qui ne l'empêche pas d'être gentil
et d'avoir des prévenances que souvent nous cherchons en vain chez nos
officiers. Pas de trace ici de cet orgueil funeste qu'on montre chez nous à
l'égard du paisible bourgeois, de cette conviction que l'on peut impuné-
ment offenser un civil. J'ai remarqué au contraire qu'ils se permettent
plutôt quelques libertés envers leurs semblables qu'envers des étrangers,
quoiqu'aucun d'eux ne supporte une véritable injure, fût-ce de la part de
son meilleur camarade. En ce cas, le simple soldat se croit obligé d'obéir
aussi rigoureusement que son général au point d'honneur, sans rechercher si
c'est le vrai ou le faux, car une conception une fois admise par tout le
monde lie tous les particuliers ». Ce fonds d'instruction, cette politesse, ces
sentiments chevaleresques n'excluaient pas cependant des propos de nos
troupiers l'usage fréquent d'un mot qui, prononcé ou non sept ans plus
tard à Waterloo, devait immortaliser un de leurs chefs.
     De Valence, Piickler avait espéré pouvoir se rendre dans le sud du