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— 278 — voisin, réveillé par la chute, voulut ramasser poliment le cornet de son con- frère ; il tomba. Le mal fut que je me pris à rire, quoique je parlasse alors pathétiquement sur je ne sais quel sujet d'humanité ». Les temps sont changés et peut-être trop d'agitation a succédé à trop de calme. En tout cas, en vous expliquant comment on confectionne les lois, j'espère vous convaincre que toutes les précautions sont prises afin que députés et sénateurs soient en état de bien connaître ce qu'ils font. Les lois se fabriquent encore à la main, lentement, comme autrefois nos soieries. Malgré les progrès de la mécanique et la diffusion de la force motrice, on n'a point imaginé le métier à lois. Aussi la technique est-elle restée assez rudimentaire, et si un monopole très étroit ne protégeait l'in- dustrie législative et ne la soutenait avec une série de privilèges pour ceux qui l'exercent, elle aurait sûrement disparu depuis longtemps. D'autant que nul apprentissage n'est exigé pour l'entrée dans la profession. Le mé- tier de législateur est accessible sans aucune préparation spéciale, sans passage par une école, sans diplômes. Cela serait surprenant et dangereux s'il n'y avait point, théoriquement, pour corriger le système, le mode de recrutement imaginé par ceux qui l'ont conçu. Ils ont laissé aux consomma- teurs toute liberté pour choisir les ouvriers. Ils ont cru qu'il n'y avait pas de meilleure garantie du bon établissement d'un produit que de donner à ceux qui auront à en faire usage, le soin de désigner ses artisans. Tout au moins, pensèrent-ils, si les consommateurs de lois ne sont point satisfaits, ne pour- ront-ils s'en prendre qu'à eux-mêmes. C'était raisonner avec logique et conformément aux plus saines règles économiques. Par malheur, ce méca- nisme si simple n'a pas toujours été bien compris, et lorsque les plats con- fectionnés par les parlementaires sont manques, ce qui peut arriver, de quelles épithètes n'accable-t-on point les mauvais cuisiniers, alors qu'en bonne justice il ne faudrait s'en prendre qu'à ceux qui les ont investis d'un pouvoir redoutable quand il est mal placé. Croyez-moi, on blâme les élus : la responsabilité vraie, profonde, incombe aux électeurs. Eh quoi ! un beau jour des Français délèguent leur souveraineté à l'un d'entre eux ; « tout de même, est amené à penser celui-ci, voilà des milliers de voix qui se réunis- sent sur mon nom, c'est donc que je... ». Et alors, il a deux attitudes : ou