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— 298 — « Après six heures de divertissement, lui avoue-t-il, je me retirai pris d'ennui et de sécheresse ». Le correspondant, on le devine, n'est pas fâché d'enregistrer un suc- cès à son actif, même après l'avoir payé par un court accès de mélancolie. Mais toute médaille a son revers, même ayant été coulée dans le métal le plus pur, et son Altesse Eminentissime ne tarda pas à l'expérimenter à ses dépens ; il reçut bientôt en effet, dans son volumineux courrier, une lettre de Paris qui l'embarrassa désagréablement ; elle contenait des plaintes graves et un blâme formel sur la manière irréfléchie dont il avait reçu M. et M me de Caraman et en particulier à propos de l'audience qu'il leur avait ménagée auprès du Souverain Pontife. On ne mettait pas en doute sa loyauté ; mais en lui rappelant la situation irrégulière des deux conjoints, on avait soin de remarquer qu'une plus grande réserve de la part d'un diplo- mate et d'un homme d'Eglise n'aurait pas été déplacée. La haute valeur morale de la signataire de cette lettre lui donnait une importance et un caractère exceptionnels ; elle avait été envoyée par la veuve de celui-là mê- me dont le dernier mari de M me Tallien venait de recueillir le superbe héritage ; elle parlait avec l'autorité d'une tante généreuse, offensée dans ses libéralités et dans son honnêteté familiale ; elle n'omettait pas de rappeler l'exemple et la mort toute récente de son beau-frère, de ce père octogénaire peu inflexible, succombant moins écrasé par le fardeau de sa vieillesse que frappé au cœur par la désobéissance du prodigue entêté. Nommer M me de Chimay, c'est évoquer, d'après l'unanime témoi- gnage des contemporains, la figure d'une des femmes les plus distinguées, les plus irréprochables, les plus vertueuses qui aient brillé au couchant de la monarchie. Petite-fille du duc de Berwick, Laure de Fitz-James n'avait pas achevé sa dix-huitième année, quand elle fut unie au prince de Chimay, Philippe Gabriel, l'aîné des trois frères d'Alsace d'Hénin Liétard, dont la maison s'éteignit avec eux ; le contrat fut signé le 13 septembre 1762 ; dès le début du règne de Louis XVI, elle fut désignée comme dame d'honneur de Marie-Antoinette qui lui témoigna aussitôt une confiance et une amitié des plus tendres ; grâce à sa faveur elle obtint que son père fût compris dans la fameuse promotion des sept maréchaux et, au départ de M me de Guémené, toute la cour la désigna comme la future gouvernante des enfants de France