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— 207 — LE PALIMPSESTE — Il n'est ni bon, ni opportun, dit l'abbé Thierry à frère iEgidius, que vous consacriez le meilleur de votre savoir et de nombreux loisirs à ces recherches concernant nos Saints Livres. Ce sont là choses dangereuses à la raison. Il dit, et d'un pas tranquille l'abbé Thierry, prieur commendataire du très puissant monastère de l'Ile-Barbe, franchit le seuil de la bibliothèque. Frère ALgidius soupira ; non que la réprimande abbatiale l'eût trouvé insen- sible, mais il avait quitté depuis deux ans la montagne Sainte-Geneviève, toute bruissante des disputes des écoliers et des argumentations des maî- tres, pour cette calme abbaye bénédictine. Les heures les plus douces s'écoulaient ici, parfois aussi il se penchait et contemplait la Saône qui orne du luisant ruban de ses eaux les deux rives de l'île. — Je terminerai demain cette glose, murmura frère iEgidius. Comme à regret il replaça les lourds in-folio sur leurs pupitres ; aux manuscrits précieux les chaînes pendaient muettes comme insensibles. Les premiers coups des vêpres tintèrent. Il y avait sur la Saône une lumière large et heureuse, ici tremblante de mille gouttelettes bleues, là étendue en une moire presque grise. Dans la bibliothèque froide et sévère, elle péné- trait, claire, presque acide, et parmi les feuilles nouvelles les oiseaux reprenaient leur pépiement moqueur. Frère iEgidius déposa Aristote et Avicenne à l'endroit le plus obscur de la bibliothèque, le coin interdit aux moinillons, et soudain un rouleau de parchemin froissé attira son attention. Il ne l'avait point encore vu,