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meure était vide ; ses habitants étaient à l'étranger sur tous les chemins de
l'Europe coalisée contre leur patrie ; fugitifs volontaires, enthousiastes pro-
testataires, mais bientôt bannis par les lois, dénoncés à la fureur de la popu-
lace, privés de leurs biens séquestrés, la plupart d'entre eux vécurent de
privations qu'adoucissaient vaguement les illusions d'un prochain retour
des Bourbons et de la légitimité. Les Caraman, après quelques stations en
Hanovre et en Saxe, s'établirent à Hambourg. Le fils aîné, Victor, ne s'éloi-
gna guère de l'entourage de Louis XVIII, il servit dans l'armée de Condé,
participa aux manœuvres du camp devant Longwy, fut envoyé en ambas-
sade par le prince auprès du tzar, Paul I er , qui le congédia assez brusque-
ment ; sous le Consulat rayé des listes de proscriptions, mais imprudent
dans ses rapports avec les agents du Prétendant, il fut enfermé au Temple
et sa femme, au désespoir, s'enfuit à Bruxelles. Heureusement la Restaura-
tion le dédommagera et reconnaîtra son dévouement en lui conférant un
duché et la pairie.
      Joseph, le plus jeune de ses deux frères, celui qui nous intéresse et que
nous avons surpris aux pieds de la déesse de la mythologie, chère aux Fruc-
tidoriens et à leur chef empanaché, à laquelle il souhaitait offrir le plus légi-
time encens, au moins béni par le pontife et la formule du code civil, trouva
dans son art une consolation et un gagne-pain; doué d'un remarquable talent
pour le violon, il s'établit comme professeur et donna des leçons à vingt sous
l'heure. Le maniement de l'archet lui parut le moins sot des métiers et, en
attendant que plus tard, au sein de son immense fortune, il le conserve
 comme le plus intéressant des jouets, il se promit de ne jamais l'abandonner.
 La musique absorba ses journées, enchanta ses rêves et n'entama que très
 superficiellement sa candeur. Rentré dans le faubourg, où s'étaient écoulées
 son enfance et sa jeunesse, dès ses premières rencontres avec l'ex-madame
 Tallien, il fut subjugué, atteint du coup de foudre qui le jeta dans la plus
 soudaine et la plus violente des passions ; il déclara l'entraînement irrésisti-
 ble. Que connaissait-il du passé de cette femme ? Ignorait-il dans quel pro-
 fond degré de mépris l'opinion tenait cette dégradée, qui ne s'était servie
 des dons de la nature et de la complaisance de ses esclaves que pour infliger
 à la morale publique les plus insultants défis ? Fut-il convaincu par le plus
 sot des snobismes que son absolution personnelle, ses serments d'oubli
Rep. Lyon., III, m .                                                          3