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— 291 — crédulité publique l'acceptait encore, que c'était Tallien qui avait eu l'au- dace de faire front contre le despote redouté et de le dénoncer à ses collè- gues tremblants de peur et muets par stupidité ; le poignard, dont il avait menacé de le frapper, vociférant et jurant de le tuer, si la loi l'épargnait, lui avait été envoyé par son amie, prisonnière à la Grande Force, avec ces mots : « Pour vous en servir, si vous n'êtes pas le dernier des lâches ». De- puis longtemps dans cette crise, qui mit fin à la plus tyrannique des dicta- tures, l'histoire a ramené à ses médiocres proportions le rôle imaginaire de premier plan que Tallien s'attribuait sans vergogne ; dans cette lutte de couteaux et de couloirs, d'autres champions que lui avaient habilement manœuvré pour abattre la Montagne et son chef. Taine, dans ses Origines de la France contemporaine, a donné la note juste et sincère, en dénonçant la lâcheté naturelle, l'incorrigible nullité de celui qu'il appelle le plus sot des politiques et le plus maladroit des tripoteurs. Mais au lendemain de ces terribles convulsions révolutionnaires, si proche des effroyables angoisses ressenties par tous les bons citoyens, il n'est pas étonnant que la vérité demeurât encore confuse, que la raison et la critique n'aient pas dissipé toutes les ombres, accumulées par les préjugés ou les passions ; la future princesse de Chimay essayera à maintes reprises, avec certaines apparences de bonne foi, de fonder sur cette tradition patriotique ses droits à l'amnis- tie ; les siens ne la lui refusèrent pas ; le public résista jusqu'à la fin. Le troisième suppléant du tombeur de Robespierre, après Barras et Ouvrard, choisi par Thérésia Cabarrus, celui-ci légalement muni du con- trat et du livret de famille, fut un membre de la noblesse la plus distinguée de l'ancien régime et des plus fidèles à la cause royale ; de deux ans seule- ment plus âgé qu'elle, il semble qu'il lui ait apporté un cœur aussi neuf qu'incandescent. La rencontre, si l'on s'en rapporte à un bulletin de police, fortuite peut-être, mais plus vraisemblablement ménagée, eut lieu dans le salon de Madame de Staël. Les relations entre les deux femmes célèbres, dont la renommée avait touché à son apogée, dans les fêtes du Luxembourg, sous le Directoire, l'une comme la Muse de la politique, l'autre comme la fée des danses et des mascarades, n'avaient pas cessé de continuer sous le gou- vernement consulaire, comme sous le régime de Barras. Après le couronne- ment du général Bonaparte, avertie comme elle l'était de l'hostilité persis-