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— 292 — tante contre elle aux Tuileries, sous la menace d'un exil plus ou moins prochain, pourquoi n'aurait-elle pas eu recours au crédit mystérieux, si combattu soit-il, de son amie toute puissante auprès de l'impératrice José- phine ? De là à servir ses desseins, la pente n'était pas longue. Le futur, qu'elle avait présenté et qu'elle chaperonnera, après avoir reçu ses confidences et l'aveu de ses projets, Joseph, François, Philippe de Caraman appartenait à ce que la vieille aristocratie française comptait de plus illustre, de plus riche et de plus fidèle. Son père, approchant de sa quatre-vingtième année, avait eu pour aïeul le créateur du canal du midi, Pierre Paul de Riquet ; il avait suivi la carrière des armes et commencé par commander un régiment de dragons portant son nom ; lieutenant-général le I er mars 1780, grand'croix de l'ordre de Saint-Louis, commandant en chef en Provence, il avait partout fourni les preuves d'une droiture et d'un cou- rage servis par une haute intelligence. Rentré depuis peu avec les autres émigrés rayés des listes, il avait pris possession de son vaste et superbe hôtel, rue Saint-Dominique, près du couvent de Saint-Joseph. Il avait épousé la sœur du prince de Chimay, Marie Annette Gabrielle d'Alsace d'Hénin Liétard, dont les archives généalogiques remontaient au vm e siè- cle et la rattachaient à Guérard qui fut duc de la Haute-Lorraine en 1048. Leur mariage avait été des plus heureux ; on le citait volontiers comme un modèle d'union et de paix, à une époque où le relâchement des mœurs avait notablement affaibli les vertus domestiques. Ils n'eurent pas moins de huit enfants, trois garçons et cinq filles ; l'une d'elles avait été, dans l'an- cienne cour, dame pour accompagner la comtesse d'Artois ; une autre, la vicomtesse de Vaudreuil, obtiendra pendant la Restauration la confiance de la duchesse d'Angoulême et le cardinal de Latil la comptera parmi ses ouailles favorites. Madame du Deffand, la spirituelle aveugle, dont la correspon- dance enchantait Voltaire et dont il ne parvenait pas toujours à égaler la verve moqueuse, avoue dans une de ses lettres toute la joie qu'elle ressentait à fréquenter cette famille et à jouir de sa charmante compagnie, tant à Paris qu'à la campagne de Roissy où elle allait souvent. Marie-Antoinette, le 26 juillet 1776, l'avait honorée de sa visite et avait passé une partie de l'après-midi dans ses salons et dans son parc. Seize ou dix-sept ans après cette brillante réception, l'opulente de-