page suivante »
— 290 — Il serait fastidieux, j'allais écrire inconvenant, de consigner ici, même à la suite des biographes les plus véridiques et les plus discrets, les aventures conjugales d'une malheureuse créature, peut-être inconsciente, de respon- sabilité au moins atténuée, ayant porté l'impudence de ses charmes et les scandaleuses provocations de sa coquetterie au-delà de toute limite imagi- nable : ne l'avait-on pas vue soulever l'indignation et les murmures du parterre d'un théâtre moins qu'austère par sa toilette en demi-nudité? est-ce qu'aux Champs-Elysées, aux applaudissements des promeneurs, par dégoût plus que par amusement, des gamins ne jetaient-ils pas de la boue dans sa voiture, tant son attitude extravagante était jugée méprisable, odieuse l'effronterie de sa parure et de ses fards ? Elle avait déjà dépassé la trentaine, quand l'occasion s'offrit à elle, après d'assidues recherches et quelques infructueux essais, de faire une fin, comme on dit, et de tenter, au bras d'un maître légitime et titré, l'entrée d'une société dont elle supportait amèrement d'être exclue, dont elle espérait enfin que la consigne serait levée devant ses ardents désirs et sa dernière manœuvre. Ouvrard, le richissime fournisseur des armées napoléoniennes, l'avait récemment quittée, à l'amiable, sans fâcheux éclat, en lui laissant trois enfants nés de leur rencontre et un hôtel fort convenable, rue de Babylone, où cependant ils ne seront point élevés. Tallien est loin, en Espagne, où Talleyrand et Fouché lui ont obtenu avec peine d'être nommé au consulat d'Alicante ; au reste, entre Thérésia et le fameux conventionnel, toute passion semble éteinte et la rupture des liens légaux a sanctionné l'opposi- tion des sentiments ; le divorce, proposé et entamé déjà , une première fois, au printemps de 1797, a été prononcé le 8 août 1802. Toutefois, de cette branlante association, plus ou moins disloquée de concert par les deux partis, l'ancienne maîtresse surtout n'entendait pas anéantir les bénéfices politiques ; elle escomptait beaucoup se servir de la légende héroïque, for- mée à son profit, après la chute de Robespierre, qui attribuait à l'ex-pro- consul de Bordeaux un rôle prépondérant dans l'effondrement du régime de la Terreur et de la guillotine ; le nom de Notre-Dame de Thermidor était loin de sonner mal à ses oreilles ; elle s'en parait comme d'une décora- tion, qui la recommandait aux hommes d'ordre, aux antagonistes de la Révolution dans tous les partis. On avait tant répété et, après dix ans, la