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389 — LE VOYAGE DE NOCE D'UNE FEMME CÉLÈBRE Le 15 thermidor an XIII, 3 août 1805, à la mairie du dixième arron- dissement de Paris, Fofficier de l'état-civil procéda à l'union du vicomte Joseph de Caraman et de Thérésia Cabarrus, femme divorcée de Lambert Tallien ; la cérémonie eut lieu à cinq heures du soir, elle fut courte, des plus communes et n'eut pour invités que les quatre témoins exigés par le code ; on avait prudemment cherché à se dérober à la curiosité publique. Cependant, depuis plusieurs mois, cet événement annoncé, démenti, confirmé, était devenu un sujet habituel des conversations mondaines ; dans le vieux faubourg de la rive gauche comme dans les cercles de l'aristocratie nouvelle, chacun s'étonnait de voir une des reines de la galanterie les plus en vedette, s'engager sous le joug de l'honnêteté domestique, et un repré- sentant de la plus haute noblesse lui offrir sa main, afin de l'enlever aux éclaboussures du ruisseau et de lui ménager une entrée dans la classe des gens respectables. La tâche n'avait pas paru au-dessus de sa hardiesse et de son dévouement à un amoureux ébloui par l'éclat d'une enivrante beauté, à peine effiorée par les atteintes de la maturité et les fatigues d'une fréquente maternité ; la compagne, qui l'avait ensorcelé et conquis, caressait de son côté le vœu secret de cette métamorphose, de ce passage de frontière, un des plus ardents de son orgueilleux égoïsme ; mais l'un et l'autre appren- dront par l'insuccès à se résigner et finiront par comprendre que les barriè- res, dressées par l'opinion, s'abaissent moins vite que celles de la conscience, que par respect humain on se ligue quelquefois pour refuser une amnistie aux évadés de l'honneur et de la moralité.