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                                 NÉCHOLOGIE.                                   89

mides d'Egypte, et le vieux pourpoint noir du poète. Des chantiers de bois
vinrent à la longue embarrasser les détours du bosquet, de hautes piles de
planches remplacèrent les touffes de mauves et les marguerites du jardin. Pour
comble de malheur, une muraille en lattes défendit non seulement l'accès, mais
encore la vue de l'île aux amateurs de plaisirs champêtres. Les eaux crou-
pirent au lac faute d'écoulement. L'île se dégrada elle-même ; un à un tom-
bèrent ses gracieux atours sous les coups de la hache qui abattait ses peupliers
et ses saules. Le bateau fut coulé à fond, les talus de la rive s'écroulèrent.
Pendant plusieurs hivers de suite l'absence du froid priva le lac de ses légers
patineurs. De la boue au printemps et en hiver, un profond oubli le reste de
l'année, tel devint le sort de cet îlot jadis si favorisé. Tel qu'il est aujour-
d'hui, il ne manque cependant pas de quelques attraits. Souvent encore je
vais passer le nez entre la jointure de ses planches ; je regarde et je gémis
en me rappelant ses charmes d'autrefois.

   « Adieu donc, joli panier de verdure et de fleurs, qui te mirais si gentiment
dans le lac ! adieu la chansonnette qu'on entendait retentir sous tes arbres avec
un doux bruissement de rames et de vagues murmurantes ! Plus de cliquetis
de fourchettes, plus d'assiettes et de verres cassés par le plaisir, plus de folle
joie sous la feuillée, plus de dîner sur l'herbe, plus de tendres tristesses, plus
de gais plaisirs ! Plus rien , qu'un nom et des souvenirs qui s'effacent   chaque
jour !.... »

   Ce que Leymarie disait alors de ce pauvre îlot, nous le disons de
lui à cette heure, mais, hélas ! avec des regrets bien autrement vifs
et sentis. Il approchait de cette douloureuse époque où la maladie
s'empara de lui pour ne plus le quitter. Ce fut aussi à dater de ce
moment qu'il s'opéra en lui toute une transformation.
   Forcé par l'état de sa santé à se mettre à l'abri des excitations
de la grande ville et à laisser la vie errante du paysagiste, il alla se
réfugier, avec sa bonne mère, à Saint-Rambert en Bugey, dans une
calme retraite suspendue au flanc de l'une de ces belles montagnes
qu'il aimait tant, tous près de cette Albarine dont il s'était si souvent
complu à reproduire les rives accidentées, les beaux ombrages et le
cours sinueux. Là, il agrandit le trésor de ses connaissances, rouvrit
ses classiques bien aimés, s'adonna au blason, étudia l'histoire,
l'architecture et l'archéologie, fit des eaux-fortes, dessina sur pierre
et sur bois, composa de la peinture sérieuse, et visa enfin au grand
style. Sévère pour lui-même, il tenait à se satisfaire avant de plaire