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DE LA R E S P O N S A B I L I T É L I T T É R A I R E 547 ment une autre cause. La pensée se porte à augurer qu'un peuple dont l'intelligence et le goût sont satisfaits par les œuvres de ce genre est blasé par l'ennui ou par la dépravation de son esprit et de ses mœurs. On en conclura qu'à la recherche des distractions ou cédant à la corruption, il n'est pas surprenant de voir les dés- œuvrés de ce peuple traduire en action les théories, les faits, les aventures que mettent au jour les affamés de renommée. Un tel état de choses dans la société française indique qu'elle subit une influence morale. Il ressort en effet, de l'ensemble des publications littéraires d'une époque, une philosophie qu'il im- porte d'étudier. Autrefois les grands écrivains s'imposaient à coup de génie et finissaient par réagir d'une façon victorieuse sur leur époque. Aujourd'hui le contraire a lieu, et la littérature, au lieu de dominer les mœurs, n'en est plus que l'expression. Les grandes œuvres disparaissent de plus en plus, à part l'histoire, l'étude des sciences positives et les romans tirés à la ficelle, selon l'expression triviale d'un critique, c'est à peine si, chaque année, il paraît une œuvre littéraire. Or, ce sont les progrès incessants du journalisme qui sont la principale cause du phénomène qui se produit. Chaque jour, une nouvelle feuille paraît née viable ou mort-née; peu im- porte ; il faut au journalisme des plumes, et le besoin de vivre jette dans la fournaisse de la production journalière une foule de jeunes hommes auxquels leurs aptitudes et leurs goûts semblaient promettre un tout autre avenir, mais qui, à peine sortis du col- lège, se croient écrivains. On peut ajouter avec les critiques les plus autorisés que le petit journalisme surtout est un empire qui prend son homme, en exprime la substance intellectuelle, l'épuisé en peu de temps. Combien de ces imprudents traînent aujourd'hui dans les bas-fonds de la nouvelle à la main, les tristes restes d'une imagination hier encore pleine de promesses ! Avec une pareille façon d'écrire, la façon de penser suit la même voie, et pour écrire un livre comme pour écrire dans un journal, il faut que la forme soit à la hauteur de l'intelligence du lecteur et de sa manière d'être ; que le fonds du livre n'ait pas plus de consistance que la forme, et flatte la fantaisie plutôt que d'in- struire l'esprit, d'élever l'à me, de former le cœur. *