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          LE NOUVEL HISTORIEN DE CHARLES VII                        409
grandes défaites de Crécy, de Poitiers, d'Azincourt ont moins
encore décimé ses rangs qu'elles n'ont anéanti son prestige. Elle
subsistera, sans doute, à l'état de glorieux souvenir ; elle laissera
sa trace dans les mœurs de la nation tout entière comme en plus
d'un terme de la langue, comme en mainte coutume ou en maint
préjugé nobiliaire; mais ce monde féodal, qui a rempli de sa bril-
lante et turbulente activité quatre ou cinq siècles de notre histoire,
va disparaître sans retour. Aussi peut-on dire du temps de
Charles VII qu'il a été le dernier siècle épique de notre histoire.
L'épopée nationale a eu là son cadre tout tracé dans cette lutte si
 grandiose et si terrible de la France contre les Anglais, et la mer-
veilleuse histoire de Jeanne d'Arc apparaît tout naturellement
comme l'Iliade de cet admirable cycle de traditions guerrières.
Chapelain ne s'y était pas trompé. Avec un sûr instinct qui con-
traste étrangement avec les allures gauches et pédantes de son
style, mais qui fait honneur à son sens de chrétien et de Français,
il avait fort bien compris quel était l'unique sujet du poème épique
que la France, en possession de son idiome classique, pût opposer
aux immortels chefs-d'œuvre de la Grèce et de Rome. Malheureu-
sement l'inspiration du poète ne répondit pas à cette sorte de divi-
nation providentielle du sujet, et le nom de la Pucelle resta, dans
notre littérature, le synonyme d'une pitoyable déconvenue, en
attendant qu'il devînt, sous la plume de Voltaire, le prétexte d'un
odieux blasphème.
    Le règne de Charles VII commence l'organisation de l'état
moderne comme celui de Louis le Gros avait commencé l'organi-
sation de l'état féodal. Tout indique ce profond changement : la
création des armées permanentes, le progrès de l'administration
royale, la transformation du tiers-état renonçant, après les agi-
 tations révolutionnaires du quatorzième siècle, à ses tentatives de
 républiques communales pour concourir avec la royauté, et en lui
 fournissant ses auxiliaires les plus actifs,àla constitution définitive
 de notre unité nationale. Seulement au prix de quelles souffrances
 s'opère cette transformation ! On sent le besoin d'une autorité forte
 pour débrouiller le chaos de la guerre de Cent ans, et cette autorité,
 où la chercher? On hésite, on se demande où est le roi, où est le
 droit. La loi salique doit-elle être appliquée dans toute sa rigueur ?