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       LA VIE I N T E R I E U R E AU D I X - S E P T I E M E SIECLE   305
de réparer, mais régler sa vie de manière à la purifier sans cesse,
à la rendre plus utile et moins imparfaite, voilà ce dont nous
n'avons plus aujourd'hui qu'une vague idée, qui tend à s'affaiblir
tous les jours. Dans le tumulte de notre vie haletante et tour-
mentée, il reste bien peu de place pour le retour sur soi-même,
pour l'étude du moi intérieur, pour la réflexion. Qui de nous, au
milieu du torrent qui l'emporte, peut trouver ce loisir moral, cette
liberté d'esprit, ce silence des passions, nécessaires pour inter-
roger son âme et sonder les replis fujants de sa conscience? Quand
on court sans cesse après la fortune ou le plaisir, a-t-on vraiment
le temps, aussi bien que la volonté, de donner un regret au
passé et de se préparera l'avenir? Non, l'on regarde son voisin,
et, à cette comparaison, l'on s'estime encore assez soi-même.
L'important, ce n'est pas d'être meilleur, c'est de ne point paraître
plus mauvais que les autres. On s'habitue à prendre l'opinion
pour la règle unique de sa conduite, et, si ce niveau commun
 s'abaisse, si l'opinion vient à s'affaiblir et à s'altérer par un excès
 d'indulgence, la moralité privée descend aussitôt sans remords
 avec elle.
    Sur cette pente facile, — est-il besoin de le dire ? — l'âme
 s'engourdit et se dégrade. Négligée, elle se néglige; fatiguée
 d'elle-même, elle se répand au dehors pour se fuir. Quand l'homme
 est poussé en avant parle souffle impétueux des affaires, il s'y
 enfouit et disparaît. Une sorte de vertige l'entraîne, il ne s'appar-
 tient plus, il n'a plus conscience de son individualité morale, il
 perd, dans une course effrénée, où le meilleur de son âme n'a
 aucune part, les suaves et délicates récompenses de la vie.
    Lorsque, au contraire, son activité est dépourvue d'objet, lors-
 qu'il n'a ni le courage du travail, ni la faiblesse du plaisir, lorsqu'il
 est livré, sans une céleste lumière, à la seule considération de
 son être, il n'éprouve que deux sentiments également tristes ; l'un
 est le sentiment de son infortune, il a le désir d'un bonheur vague
 qui lui échappe; l'autre est le sentiment de sa bassesse, il vou-
 drait être grand, illustre, puissant, il se trouve petit, misérable,
 inutile. Son esprit s'allanguit et se décourage ; c'est une maladie
 bien commune de nos jours ; elle s'appelle l'ennui.
    Nous vivons ainsi pour nous-mêmes et dans les autres ou hors