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                    LES GRES DE BOUSGARDON                           141
    Tel était Joël-Antoine Grés, seigneur de Bouscardon.
    Il sortait d'une race ancienne, née au temps jadis dans les creux
 des rochers des Cévennes ; d'une race de gentilshommes campa-
 gnards qui n'avaient jamais Connu ni la cour, ni la ville. Sa vie
 était simple et austère, la surveillance du travail de ses champs,
 la chasse aux fauves dans les forêts de l'Aigoual et du Bouquet, et
 à part quelques services aux armées du roi, dont plusieurs d'entre
 les Grès ne revinrent pas, la vie au grand air, la vie des champs,
 telle était celle de ses ancêtres, telle était la sienne.
    Le fils ressemblait au père. Il « chassait de race » et avait ses
qualités comme ses défauts. Il était le bras.qui exécute, le père
 était la tête qui pense et décide. Mais, toutefois, plus jeune, il était
aussi plus triste, ayant marché avec le siècle. Plus d'une fois, il
avait senti le découragement de cette vie isolée, farouche, qu'ils
menaient tous les deux.
    Il avait éprouvé de bonne heure l'amertume de la pauvreté, car
ils étaient pauvres, les maîtres de Bouscardon. Leurs terres nom-
breuses étaient grevées d'hypothèques accumulées, et plus d'une
fois, leurs récoltes avaient été saisies sur l'aire. Jamais ils ne con-
sentirent à la facile honte de réduire leurs dettes en amoindrissant,
par une vente volontaire, l'héritage de leurs pères, fait pour être
augmenté, diminué jamais.
    Ah ! s'ils l'avaient voulu, de l'Aigoual au Bouquet, les Grès
avaient assez de terre au soleil pour en faire de l'argent blanc et
le jeter aux créanciers, qui rentreraient alors dans l'ombre ! Mais
cette pensée vulgaire n'entrait pas dans leurs esprits. Si, par
mauvaise fortune, elle s'y fût présentée, ils l'en auraient vite
chassée, pour qu'elle ne descendît pas jusqu'à leurs cœurs qu'elle
aurait profondément froissés ! C'était chose sacrée pour eux que
l'héritage reçu des ancêtres, une dette d'honneur et une dette du
sang. Ils devaient leur patrimoine intact à leurs descendants.
   Et ce n'était pas chez eux mépris de ceux auxquels ils devaient;
moins encore la pensée de leur fairer le moindre tort, — celle-là,
ils l'eussent renfoncée dans la gor^e de quiconque la leur eût fait
enlrevoir. —»' Certes, ils étaient pauvres d'argent, ils devaient ici,
et là, et plus loin, et devant eux et derrière eux ; mais la parole
des Grès valait de l'or, et puisque leurs créanciers avaient leur