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                   LES CRÈS'DE BOUSGARDON                          139
Point d'eau; ni sources, ni gardons. Creusés à longues distances,
quelques puits à roues, les « pousarangues » qui, très bas, vont
chercher l'eau sous cette terre de feu, alimentent des « gourgues »
où puisent des « chadoufs » en tout semblables aux appareils
primitifs de la basse Egypte.
   Des champs de froment et de seigle, des luizernières en touffes
bleuâtres s'étendent au loin. La motte soulevée par le soc de
l'araire est grossière, poreuse et grise. Des cailloux anguleux,
blanchissant au soleil, piquent de points clairs la couleur sombre
et pauvre du sol.
   De ces champs ingrats émergent des îlots de rochers calcaires
blancs ou grisâtres, violacés de lichens séculaires. Ces « clapiers »
sont presque toujours couronnés de chênes verts, bordés et défen-
dus de pruneliers et d'épines sauvages. Les chênes, petits, trapus
— on les coupe tous les vingt ans, — résistants, sains et hérissés
d'un feuillage dur et vert, sont l'image même des paysans cévenols ;
race énergique et fière, dure à soi-même, sobre et opiniâtre, saine,
honnête, ferme dans ses croyances religieuses, jusqu'au fanatisme
parfois, braves gens, bonnes gens... Hélas! ceux des petites villes
et des gros villages, là où pénètre la feuille politique ou socialiste,
là où s'ouvre le cabaret, ceux-là commencent à mal finir. ..mais j'en
connais dans la montagne qui sont, ceux-là, de vrais « chênes
verts ».
   Et derrière les îlots et les chênes, les champs expirent. Ils font
place à la lande, à la garrigue. Là, la pierre est maîtresse du sol,
elle comprime de son étreinte la terre épuisée qui ne peut plus
nourrir que la lavande odorante, le thym, la pimprenelle aux acres
senteurs.
   La pioche et la charrue se sont arrêtées, brisées contre l'ossa-
ture marmoréenne de la garrigue. C'est là le paradis des moutons,
le purgatoire des bergers, l'empire des troupeaux bêlants.
   Les bêtes s'y massent en bandes voraces, arrachant, rongeant,
broyant l'herbe avec la motte. Assis sur un tertre ou sur un roc
émergeant de la lande, le pâtre les surveille, immobile, silencieux
et rêveur, pendant des heures sans mesure. Son chien, seul ami du
berger, est couché à ses pieds, la langue pendante, le museau ras
de terre, cherchant l'ombre fraîche de la mousse. Au loin, quel-