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26                      LA REVUE LYONNAISE
atelier à idées, il sache se servir avec facilité de la seule machine
qui puisse les mettre en circulation : la plume. »
   En 1848, quand il entra au Parlement et qu'il dut aborder la
tribune, il sentit plus durement encore l'infériorité de son éduca -
tion. « Il avait contre lui, dit l'un de ses contemporains \ la gros-
seur de son corps, son aspect vulgaire, ses gestes sans grâce, sa
voix ingrate. De littérature, il n'en avait point; en beaux-arts, il
était un profane : la philosophie lui était étrangère ; pas un rayon
de poésie dans le cœur; instruction très médiocre; les paroles
tombaient de ces lèvres hachées à la française, et les solecismes
étaient si nombreux, que le mettre d'accord avec le dictionnaire de
la langue italienne eût semblé à tout le monde une entreprise
impossible. »
   Un de ses biographes2, analysant l'impression produite par son
premier discours, constata son insuccès. « Certes, il ne manqua pas
 d'idées, et il raisonna avec la vivacité pénétrante que lui avait
 donnée la nature. Mais sa parole n'était pas facile et n'obéissait
pas avec la précision voulue aux ordres de lapensée.Pour la pre-
 mière fois, peut être, il s'aperçut qu'il ne possédait pas cette cul-
 ture littéraire qui est pourtant si nécessaire à l'orateur politique,
et il eut une raison de plus d'admirer la solide éducation clas-
sique des Anglais, qui est une des causes de force et de vie pour
l'éloquence parlementaire de cette nation privilégiée. »
    Tel était l'homme qui se jetait dans la lutte des partis et qui, au
bout de six mois à peine, exerçait déjà sur la marche des affaires
une influence décisive. C'est qu'il était tout préparé aux orages du
parlement par ses longs séjours en France et en Angleterre. En
Angleterre, il avait pris l'habitude de la libre discusion, et des
hautes conceptions politiques, dont la réalisation exige les
efforts de toute une vie. De France il avait rapporté le style
parlementaire : par style, je n'entends pas la forme matérielle
des idées, mais en quelque sorte, leur forme morale : je veux dire
la sobriété du développement, une aversion naturelle pour les
métaphores, la clarté analytique de la phrase, l'ordre logique

  * Brofferio, Storia del Parlamento  subalpino.
  s Massari, Il conte de Cavour, Ricordi, Biograiia.