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       . LETTRES INÉDITES DU COMTE DE CAVOUR                         25
son ambition patriotique. A un autre point de vue, l'étude d'une
âme a toujours ses attraits, et il n'est pas de spectacle plus in-
 structif et plus attachant que le développement intellectuel d'un
homme supérieur, ses essais dans la vie publique, ses efforts pour
rester à la hauteur des événements, cette lutte journalière où
l'amour de la gloire et de la patrie s'unissent pour préparer un
triomphe presque sans tache.


                                   I

   L'éducation de Cavour avait été singulièrement négligée. Dès
son début dans la vie publique, il éprouva pour parler et pour
écrire les plus grandes difficultés. Dans son adolescence, il s'était
fort peu appliqué à la culture des lettres. Plus tard, il avait reporté
toutes sa puissance de travail sur les sciences politiques ou mathé-
matiques. Il s'aperçut bien vite qu'une forte instruction littéraire
est indispensable à l'homme d'État. Ce n'est pas tout d'avoir de
bonnes idées : il faut pour les faire accepter du public, les
habiller convenablement. Déplus, en adoucissant l'esprit, les lettres
l'amènent à ce scepticisme pratique si nécessaire au diplomate,
bien différent du scepticisme dogmatique, et qu'on peut considérer
comme le fruit du bon sens et delà tolérance. Aussi Cavour écri-
vait-il à Aug. de la Rive :
   « Je vous l'avoue sans détour, je ne me sens pas de force pour
rendre d'une manière agréable tout ce que je pense. Faute d'exer-
cice, si ce n'est de moyens, j'éprouve une grande difficulté àrédi-
ger mes idées de façon à pouvoir les présenter au public. Dans ma
jeunesse on ne m'a jamais appris à écrire ; de ma vie, je n'ai eu de
professeur de réthorique ni même d'humanité ; aussi ce n'est
qu'avec la plus grande appréhension que je vous livrerai un
manuscrit destiné à l'impression; j'ai senti, mais trop tard, com-
bien il était essentiel de faire de l'étude des lettres la base de toute
éducation intellectuelle : l'art de parler et de bien écrire exige une
finesse, une souplesse dans certains organes qu'on ne contracte
qu'autant qu'on les exerce dans la jeunesse. Faites écrire, faites
composer votre fils, afin que, lorsque sa tête sera devenue un