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— 294 — suffiraient à une réhabilitation, que plus d'un exemple rendait probable, et rendraient à la pécheresse une innocence incorruptible? La réponse est difficile à déduire d'un examen où les confidences font défaut ; mais l'hon- nêteté rigide, l'affection vraie, le bon sens parlèrent par la bouche du comte de Caraman, de ce vieillard représentant un passé d'intégrité sans tache et sans forfaiture, de ce père plus soucieux de la dignité de sa race, de la pureté de son sang, de l'honneur de son nom, qu'ému par les instances et les pleurs d'un névrosé débile ensorcelé par une débauchée. Il refusa net son consen- tement à un pareil mariage ; il déclara que si l'on passait outre on serait réduit à lui envoyer des sommations légales. Sa conscience chrétienne parlait dans cette circonstance aussi ferme que ses principes de gentilhomme, car si l'union, qui avait été contractée avec Lambert Tallien, exclusivement devant le magistrat laïque, avait été légalement dissoute par la sentence de divorce, publiée six ans plus tard, Thérésia Cabarrus demeurait néanmoins entièrement sujette de son pre- mier mariage contracté, le 28 février 1788, avec Jacques Devin de Fontenay et très légitimement béni, après les bans annoncés et les formalités requises, par le curé de Saint-Louis en l'Ile. Le divorce enregistré au tribunal de la Gironde, le départ du mari pour la Martinique, son silence, depuis que les diamants de la corbeille lui avaient été restitués, ne modifiaient en rien le code religieux, le droit canonique ; ils n'atteignaient pas l'indissolubilité du sacrement. On conçoit alors qu'il ait répugné à M. de Caraman d'agréer pour belle-fille une personne qui ne pouvait pas l'être, à laquelle ce titre était interdit par l'autorité la plus sacrée de l'Eglise et de Dieu. Mais ses objections, ses refus, ses reproches n'eurent aucun effet. La proie était enveloppée dans le filet qu'on lui avait jeté ; nulle main ne fut assez habile pour en dénouer les mailles étroites,nulle dent assez incisive pour les ronger. Les nouveaux époux, après leur passage à la mairie, tentèrent quelques visites officielles imposées par l'usage et les convenances ; l'accueil qu'ils reçurent fut partout assez glacial ; de Norvins nous raconte dans ses Mémoires qu'il entrevit le couple chez Madame de la Briche, « excellente personne dont le bonheur n'a jamais pu se débarrasser » ; il s'y rencontra en même temps qu'eux avec le comte et la comtesse Charles de Noailles, celui- là fils de la princesse de Poix, celle-ci fille de Laborde, le banquier de la