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510 MEYERBEER ET L'ÉTOILE DU NORD. que nous faisons lo procès , c'est à nous-mêmes ; c'est comme si nous di- sions : Ma faculté de sentir s'est épuisée , mon ardeur pour les grandes choses s'est refroidie. Que ceci nous rende plus circonspects dans nos cri- tiques. Si nous sommes à la veille d'une révolution dans l'ordre musical ; si, dé- goûtés de la vérité en musique, nous avons soif de mélodies faciles, ce n'est pas par cette raison que tout doit avoir une tin en ce monde, et que, ainsi que toute chose, le règne de Meyerbeer ait assez duré. Sans doute, puisque, d'après le mot de Tacite, si fréquemment cité, quinze ans consti- tuent en politique un long espace de temps, longe cevi spatium, sans doule vingt-cinq ans peuvent bien former, en musique, une période assez longue, pour donner au parterre le droit de demander dos émotions nouvelles. Mais c'est là la petite raison de notre changement. La vraie raison est en nous-mêmes. Il y a, en effet, dans le monde des belles-lettres et des beaux- arts, un temps d'arrêt bien propre à attrister tous ceux qui s'inquiètent en- core des destinées morales de la patrie. L'esprit public est comme frappé de langueur de prostration. Tous nos artistes, quels qu'ils soient, peintres ou sculpteurs, littérateurs ou musiciens, tous vivent de leur passé : on re- fait ses tableaux et on réédite ses livres. L'activité matérielle prévaut et fait taire les voix de l'esprit. Est-ce un bien, est-ce un mal ? Le question mérite- rait d'être traitée ; dans tous les cas, ce n'est pas dans un coin de feuilleton que je viendrai, à l'exemple de tant d'autres, glisser un lien commun de rhétorique contre l'industrie de ce temps et la confondre avec le matéria- lisme ; je me borne à affirmer ceci : le niveau des esprits a baissé ; donc la grande musique, la musique sérieuse et forte a moins de chance d'être écoutée qu'autrefois, et cela. es*, vrai, en littérature comme en musique, en philosophie comme en histoire. Aussi, pour ceux qui, comme nous , rattachent leurs premières impres - sions musicales au souvenir des premières représentations de Uobert-le- Diuble, Meyerbeer reste un maître à part. Ses œuvres sont comme em- preintes d'une saveur particulière ; elles ne portent pas seulement le cachet personnel de leur auteur ; en dehors du mérite intrinsèque, si origi- nal et si profond, elles ont celui d'être, en quelque sorte, la traduction du génie de l'époque où elles ont paru. Elles sont marquées du sceau collectif qui ne manque jamais aux grandes œuvres En ce sens il est vrai de dire qxie la musique de Meyerbeer est le commentaire même de la littérature con- temporaine ; elle en est inséparable. Pour ma port, je ne saurais assister à une représentation du troisième,, acte des Huguenots , entendre l'air du couvre-feu sans songer aussitôt à la IVotre-Datne-iJe-Pciris de Victor Hugo. Tout le moyen-âge, dont on a tant abusé de !830 à 1840, revit dans ces airs