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144 UNE PROMENADE EN SUISSE sans doute jamais lés fabuleuses constructions de Babylone. En s'éloignant, les divers étages s'effacent, se fondent en un gigantesque obélisque de verdure dont les arêtes se hérissent alternativement de colonnes et de statues colossales, et dont le sommet est cjuronné par le groupe hardi de ce coursier bouillant que maîtrise à peine son intrépide cavalier... Rien ne peut rendre l'incomparable magie de ce tableau sous ce ciel d'azur qui l'enveloppe , sous ce brillant soleil qui l'i- nonde de ses rayons... L'exubérance de certains détails, le mauvais goût de quelques ornemenls , tout disparaît, tout s'oublie, et, en présence d'une des plus étonnantes concep- tions dont les arts puissent s'enorgueillir, il n'y a place que pour la plus vive et la plus légitime admiration. Depuis deux heures nous naviguions sur notre étroite bar- que presque immobile sous les efforts impuissants des rameurs: c'était un calme plat ; pas un souffle dans les airs , une cha- leur dévorante, et la vague clapotant lourdement sous notre embarcation lui imprimait un mouvement de roulis qui, joint à l'odeur enivrante d'une fleur de magnolia, nous avait jetés dans cet état de somnolence et de malaise précurseur du mal de mer. Aussi ne faisions-nous guère attention au paysage, quand, tout à coup, un de nos bateliers s'écrie : « Ecco la! » la voilà ! et, dans la direction de son doigt, sur la rive occidentale, nous apercevons la statue de saint Charles Borromée cou- pant l'horizon de son immense silhouette : à la voir ainsi au- dessus de la colline dont les arbres nous cachaient son piédes- tal, on l'aurait facilement prise pour une apparition gigan- tesque descendant majestueusement du ciel. Ses colossales proportions nous avaient laissé croire que nous en étions à peine éloignés de quelques minutes et il nous fallut plus d'une heure pour l'aborder, sans que, en nous rapprochant, nous la vissions sensiblement grandir. Bientôt, au milieu de vignes et de châtaigniers, par un sen-