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MEYERBEER ET L'ÉTOILE DU NORD. 511 si liehes de couleur locale. La couleur locale ! C'était encore là , vous cous en souvenez , un des engouements de l'époque. Meyerbeer en fît à sa manière avec son orchestre ; il fut pittoresque comme Victor Hugo. La Esmeralda n'a pas dû danser sur d'autres airs de danse que sur ceux dn troisième acte des Huguenots. L'Étoile du Nord est pleine de préoccupa- tions de cette nature : on voit que le compositeur s'efforce souvent de ren- dre, dans cette dernière partition, l'accent sauvage et guerrier du Tartarc, comme il a saisi l'accent chevaleresque de l'épopée dans Robert-le-Diable ! Meyerbeer ne poursuit pas seulement la vérité dramatique, cet idéal de Grctry, qui fut celui de Racine et de l'école classique, il poursuit dans l'art la vérité vivante, pittoresque, concrète, pour parler la langue des pédants, la vérité telle que la comprenait Shakespeare, telle que l'école moderne s'est efforcée de la reproduire. De là , chez lui, en même temps une recherche et une variété prodigieuse de détails, des changements de tons et de rhythmes l'anwttf des effets mélodiques et des contrastes, des alliances de timbres, de dissonnanecs qui étonnent l'oreille, une certaine étrangeté, une énergie âpre et farouche dans le coloris, et jusqu'à l'emploi d'instruments nouveaux ou insolites : toutes choses qui répondent en littérature au néologisme, aux antithèses, à l'emploi des tpithetes saillantes et des métaphores hasardées. De là , encore, chez Meyerbeer, cette vérité individuelle dans les caractères des personnages qu'il anime de son souffle puissan!. On peut dire, en effet, qu'il ne cherche pas seulement à traduire le cri de l'âme, le cri du cÅ“ur humain en général, ce qui est le fond même, je le répète, de la théorie classique, mais il fait respirer dans sa musique l'à mc particulière du personnage qui est en scène. Ainsi il suffira d'entendre chanter quatre mesures par Robert, Marcel, ou même seulement par le comte de Nevers ou le page Urbain pour reconnaître le caractère que l'au- teur a voulu donner à chaeun d'eux ; et du commencement jusqu'à la fin de l'opéra, chaque rôle est écrit et soutenu avec une persis- tance, une unité qui semblait, jusqu'à Meyerbeer, le privilège de la parole écrite. Ce que le grand Corneille exécute avec ses alexandrins tragiqucs,le mu- sicien le réalise avec des bémols et des dièzes. Remarquez que le chant, ou-" Ire qu'il est toujours étroitement lié aux situations , colle comme une ar- mure à la personne même que représente l'acteur. Cette faculté de créer des types en musique, des caractères comme ceux de Robert, de Marcel, etc., constitue une des parties les plus originales du génie de Meyerbeer. Sous ce rapport-, aucun de ses devanciers ne lui est comparable. L'évidente analogie qui existe entre les procédés de Meyerbeer et ceux de tous les écrivains me conduit à cette autre observation que je crois vraie, à savoir que cette musique n'est pas destinée à agir sur les nerfs seulement, Ã