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BIBLIOGRAPHIE. 327 sont de venir danser chaque soir sur les plages de Corinthe, et dont le souvenir remplit une des plus charmantes pages du jour- nal de notre jeune voyageur. Je ne veux rien comparer dans le théâtre ancien et le théâtre moderne : leurs deux points de départ sont trop différents. Je sais reconnaître, comme tous, que nos penseurs et nos poètes ont dépassé depuis longtemps ces colonnes d'Hercule que l'an- tiquité avait posées comme limite à son génie. Je comprends aussi que Goethe, Shakspeare, Racine, Corneille ont trouvé des cordes inconnues à Sophocle et à Euripide qui n'auraient pas à coup sûr compris Faust ou Hamlet, pas plus qu'ils n'auraient pu faire Polyeucte ou Athalie. Et pour rendre pleinement témoignage à notre art national, j'applaudirai même à ces paroles de M. Cousin: « Osons dire ce que nous pensons ; à nos yeux Eschyle, Sophocle et Euripide ensemble ne balancent point le seul Corneille ; car aucun d'eux n'a connu et exprimé, comme lui, ce qu'il y a au monde de plus véritablement touchant, une grande âme aux pri- ses avec elle-même entre une passion généreuse et le devoir (1).» En matière d'art, enfin, j'irai plus loin encore. Oui ! depuis dix- huit cents ans qu'elle a disparu, l'antiquité n'a pas encore pour quelques-uns abdiqué sa royauté, ou du moins si le sceptre lui échappe, elle semble toujours nous imposer par la magie de ses souvenirs le despotisme de l'admiration. Mais est-ce à dire qu'il faille toujours rencontrer jusqu'à elle comme à l'infaillibilité su- prême, et que le génie, dans la cécité de l'impuissance, n'ait rien de mieux à faire que de suivre Michel-Ange aveugle, et promener comme lui ses mains débiles avec vénération sur les restes mutilés de l'Hercule antique ? Ce serait faire trop bon marché, ce me semble, des œuvres modernes, et méconnaître chez nous ce que nous admirons dans le passé. Il faut être impartial ; le pres- tige de la Grèce ne doit pas nous faire oublier la vérité. Pour- quoi ne pas le reconnaître? En matière d'art proprement dit, nous sommes supérieurs aux Grecs. L'art païen ne rend que le visible: l'art moderne a cherché à rendre l'invisible, l'idéal sous (1) Du vrai, du beau et du bien, Xl! leçon.