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CHRONIQUE LOCALE. LE JARDIN DES PLANTES LIVRÉ A LA COMPAGNIE DES EAUX. Encore une dévastation ! le Jardin-des-Plantes est bouleversé de fond en comble par la Compagnie des eaux. Cette jolie coquille de verdure , qui occupait si bien le centre du jardin , est livrée aux terrassiers, qui cou- pent sans pitié les beaux arbres , et font disparaître les derniers vestiges de l'amphithéâtre romain, dont Je relief du terrain racontait l'existence aux générations présentes. C'est une désolation de voir les magnifiques troncs jonchant le s o l , victimes regrettables des hauts barons de notre époque, qui ont conservé le droit impitoyable de lu taille. Le superbe peuplier de la Virginie, que chacun admirait, n'est plus qu'un cadavre dépouillé de ses membres. Ses branches sont déjà métamorphosées en fagots, et son im- mense tronc est probablement destiné à être débité en planches. Le pro- grès véritable ne devrait pas se faire vandale, et lui qui, quotidiennement, dans nos journaux, plante des jardins dignes du paradis terrestre, devrait au moins respecter ceux qui existent. Pense-t-on qu'i) n'y ait pas qucl- qu'agrément à se promener à l'ombre de beaux arbres, d'une autre essence que ce vulgaire platane que l'on* rencontre partout, et dont on ne fait tant de cas que parce qu'il a une croissance rapide et une vie courte ? Penser à la postérité est un préjugé ridicule : après nous le déluge ! Cette Compagnie des eaux de France fait preuve d'une grande sécheresse de cœur, en coupant les arbres qui nous sont chers, les arbres qui ont abrité les jeux de notre enfance , et que nous pensions devoir vivre plus longtemps que nous. Rien n'est plus attristant que d'entendre le bruit de la cognée dévastant ces vieux massifs de verdure qui embellissaient le paysage et fournissaient gratuitement leur ombre. La mythologie antique n'était pas dépourvue de raison, en animant les arbres et les mettant sous la sauvegarde de la religion et de la poésie , par la création des Nymphes et des Génies. Quand on songe à tout ce qu'il faut de soins et de temps pour amener un arbre à être beau et utile, on ne peut s'empêcher de gémir en voyant détruire d'un coup de scie l'objet de tant de peines. Nous ne voulons pas discuter si la Compagnie des eaux n'aurait pas pu trouver un autre local pour établir son réservoir, et si l'emplacement choisi est indispensable à ses travaux ; mais alors nous .déplorons cette nécessité. Le progrès tel qu'on l'entend de nos jours, est une médaille ayant une belle face et un revers parfois horriblement désagréable. P. S.-O. AIMÉ VIKÛTEIMIER, directeur-gérant.