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CHRONIQUE THÉÂTRALE. Le Gendre de M. Poirier, comédie de MM. JULES SANDEAU et EMILE AUGIER . — M < JUDITH et M. LAGRANGE. »= Enfin voici un comédie , une comédie des plus piquantes , et un succès du meilleur aloi. Ml'0 Judith est venue lui prêter les grâces de sa personne, l'éclat de ses beaux yeux noirs et son intelligence scenique. M. Lagrange a donné au marquis de Presle l'élégance de ses manières , l'accent peut-être un peu trop marqué du persifflage et de l'ironie , mais une chaleur de cœur des plus communicatives et une aisance parfaite. M. Vernier, notre comi- que, dont le trait et la verve sont toujours, à l'instar d'un convoi express, à grande vitesse, est parvenu à se métamorphoser. II se possède , il se con- tient ; ce n'est plus M. Vernier, c'est bien là M. Poirier, le rusé et sournois beau-père, l'ambition à l'état latent. La pièce a donc été dignement inter- prétée et rendue avec soin , avec amour , dans ses plus minces détails de mise en scène. On pouvait reconnaître là ce respect qu'un directeur lettré sait apporter aux œuvres de mérite et de conscience , et nous en félicitons ici M. Lefebvre. Honorer ainsi des auteurs, c'est s'honorer soi-même. Nous ne ferons point l'analyse de la comédie nouvelle, c'est toujours cette vieille lutte de la noblesse et de la bourgeoisie : sacs et parchemins en pré - scnce et aux prises. Les ridicules et les travers des deux camps sont mis à nu et si bien flagellés de part et d'autre qu'on ne sait s'il reste un vainqueur. Nous n'y voyons, enfinde compte, qu'une femme malheureuse à ajouter au martyrologe conjugal, car, pour nous , la pièce finit réellement au troi- sième acte. Le quatrième ne change rien au fond de la situation, en dépit de sa favorable péripétie. Il n'a été fait que pour ne pas renvoyer les speela - teurs sous l'influence d'un funeste dénoùmcnt. Le dialogue a de l'esprit, du trait, de la verve. On y trouve le vis comica, si rare de nos jours. L'action est bien conduite et marche résolument à son but: la punition de ce pauvre Poirier dans ses affections de famille les plus chères, alors qu'il vise à la pairie et qu'il sacrifie pour cela son immense for- tune et un repos si laborieusement acheté. L'auteur de Mademoiselle de la Seiglière et celui de Philiberte nous ont habitué à des œuvres d'une fine observation et à des caractères tracés d'après nature. Leurs dernTers ou- vrages font reposer sur eux toutes les espérances du théâtre français , et si nous ajoutons à leurs noms ceux de Ponsard et d'Alexandre Dumas , nous aurons réellement là tout ce que la scène française de notre époque compte de digne et de sérieux. AIMÉ VIÎSGTRIKIER, directeur-gérant.