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                            DE M. PAUL SA.UZET.                              47
    Ainsi Lyon et l'Académie durent à Matthieu Bonafous le concours pour
l'éloge de Benjamin Delessert. L'honorable famille de ce dernier ressentit
profondément un tel hommage, et quand plus tard la mort nous enleva Bo-
nafous, elle voulut associer ses regrets à ceux de l'Académie et joindre son
offrande à la nôtre pour faire louer dignement celui qui avait honoré son
illustre chef. Noble et touchant échange d'estime, de procédés et de respect,
qui profite également à la vertu et au savoir !
    Ce fut aussi une haute pensée qui inspira à Matthieu Bonafous l'ouverture
du concours pour l'éloge de Jacquard. Son esprit vraiment littéraire de-
manda un éloge en vers. En le plaçant sous vos auspices , il vous écrivait
que la poésie élève des monuments plus durables que l'airain et le bronze ,
et il voulut qu'elle immortalisât le père de notre grande industrie.
    La tâche semblait difficile. Quelles mains, sans briser ses cordes harmo-
nieuses , pourraient toucher la lyre de Pindare, avec le compas d'Euclyde ?
Comment les arides nomenclatures de la science ne glaceraient-elles pas les
généreux élans de l'enthousiasme inspirateur?
    De telles craintes n'arrêtèrent pas un instant ce ferme et judicieux
 esprit.
    Il avait compris que le beau et le bon sont inséparables , que le génie
appelle le génie, et que la langue des dieux ne saurait faillir aux bienfaiteurs
de l'humanité.
    Il savait surtout que notre belle langue, si rebelle aux impuissantes vio-
lences de ses adorateurs subalternes, sait assouplir toutes ses aspérités
quand elle rencontre un Protée digne d'elle. C'est alors que du sein des
plus rudes obstacles elle fait jaillir une source inattendue de triomphes ;
c'est alors surtout qu'elle déploie ce charme divin qui fait le secret de sa
gloire et la garantie de sa prépondérance dans le monde.
    Cet espoir ne fut pas déçu, le transformateur fut trouvé ; sous sa main ,
le cuivre devint or, et nous avons vu éclorc l'un des plus frais , des plus
 nobles et des plus gracieux poèmes qui aient depuis long-temps retenti
 dans cette brillante enceinte. Vous lui donnâtes la couronne, et l'enthou-
 siasme public en fit une palme triomphale.
    Ce fut un jour de gloire pour la cité, car le lauréat était aussi un de ses
 enfants , et c'était dans ses murs que l'art de bien faire avait inspiré l'art
 de bien dire.
    Ce fut aussi un jour de joie pour l'Académie, car elle avait honoré un
 grand citoyen et révélait un poète.
    Une grande part de cette journée revenait au savant généreux dont l'ini-
 tiative avait pressenti et préparé le chef-d'œuvre et le triomphe.
    Et, pourtant, Bonafous ne jouit pas d'un tel spectacle. La mort le sépara de