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EXCURSION DANS LE MIDI. 471 II. Une singulière impression de voyage. — Les rues d'Avignon. Tombeau de Laure. Sur la petite place de la porte de l'Oulle où se trouvent l'hôtel du Palais-Royal et l'hôtel de l'Europe, on voit un beau platane étendant au loin ses rameaux verts comme un dôme protecteur contre les feux du soleil de Provence. Un cafetier a pratiqué autour du tronc un escalier en spirale qui con- duit à une tonnelle aérienne établie au milieu du feuillage. Là , sur le tronc chenu de l'arbre, sont dressés des tables et des bancs rustiques. Les bourgeois d'Avignon vont y boire la bière et se reposer, à l'instar du berger de Yirgile, sub teg- mine fagi. La joyeuse tonnelle regarde en face la chambre où le maréchal Brune est tombé sous le fer de ses assassins. C'est une idylle bachique à côté d'un cippe funéraire, un tableau de Teniers pour pendant à une scène farouche de José Ri- beira. Yous voyez que l'on aime à Avignon les antithèses ; ce ne sont pas les seules. Ici les cruels souvenirs des lorlures religieuses de l'inquisition et des fureurs politiques de 93 et de 1815, sont, pour les voyageurs, inséparables des tendres souvenirs de Laure et de Pétrarque. Disons aussi qu'il existe en ce monde, au plus grand avan- tage des aubergistes et des messageries royales, une classe nombreuse de touristes des deux sexes merveilleusement organisés pour entretenir ce culte des contrastes malheureux. A la tète de ces touristes, il faut placer beaucoup de nos écri- vains célèbres et quelques bas-bleus de Paris. Tous ces beaux esprits semblent attacher une égale importance à nous ap- prendre qu'ils ne se sont pas arrêtés à Avignon sans y coucher