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CONCERTS DE FRANTZ LISZT, Le public lyonnais, peu enthousiaste de sa nature, a prodigué à Liszt les mêmes acclamations qu'il a reçues dans les principales villes de l'Europe. Le passage de l'illustre pianiste avait été assez froid, il y a huit ans; son talent a-1.-il grandi depuis, notre éducation musicale s'est-elle perfectionnée ? il y a un peu de tout cela. Nous avons entendu dans l'intervalle Prudent, Thalberg, Dohlei et La- combe, et le talent particulier à chacun, fait encore ressorlir ce qu'il y a de vraiment miraculeux dans l'exécution de Liszt. Mais il faut chercher le secret de cette prodigieuse influence sur les masses dans des circonstances tout à fait à part, et indépendantes de l'effet ordinaire produit par le piano. C'est une chose fort re- marquable, dans l'histoire de l'art, que les plus grands succès d'instrumentistes de notre temps soient obtenus à l'aide du piano. S'il nous est permis de dire toute notre pensée à ce sujet, sans porter atteinte à la gloire méritée de ceux qui se servent de cet instrument avec tant de génie, nous dirons que le règne aussi exclusif du piano témoigne d'une mauvaise direction du sens mu- sical, et fait présager une décadence de l'art. Il n'y a qu'un public raffinéet blasé,et ayant perdu le sentiment naïf de la musique qui puisse se pâmer ainsi devant la voix froide et sans entrailles de cet instrument, où la multiplicité des sous doit suppléer à l'accent. Comme il y a une loi analogue pour tous les arts, ce qu'on veut dire de la musique peut être singulièrement éclairé d'exemples tirés de la poésie et de la peinture. Celui qui écrit ces lignes et qui dénonce tout d'abord son ignorance en musique, n'a guères d'autre moyen de faire comprendre sa pensée, et il est bon que de temps en temps les questions d'art ne soient pas traitées par des hommes spéciaux. En principe, nous croyons fermement qu'il faut avoir une éducation complète dans un art pour en parler, mais par exception, juger au point de vue d'un sentiment inculte ou d'un art étranger, cela peut éclairer très utilement certains côtés des questions. Ainsi le piano nous semble venir dans l'histoire de la musique comme le genre descriptif et le style à périphrases dans l'histoire de la poésie; comme les tableaux de nature morte, les in- térieurs flamands et le paysage dans la peinture. Quand les poêles n'ont pas de vigoureux et profonds sentiments à exprimer, au lieu du trait direct, de la mélodie pure et simple, ils revêtent de tous les ornements conventionnels l'idée la plus commune, et, au lieu de nommer tout bonnement chaque chose par son nom, ils em- ploient beaucoup de mots pour désigner un seul objet. Le piano qui no peut pas faire chanter la mélodie, remplace l'accent par la multiplication des notes, c'est à -dire qu'il surcharge l'idée mu- sicale d'une infinité de périphrases ; celte multiplication des péri- phrases suppose une merveilleuse adresse d'exécution, mais c'est