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CRITIQUE LITTÉRAIRE. 59 ques hommes dignes des honneurs de la postérité, destinés au moins à prendre place dans la mémoire de ceux qui ai- ment les lettres, et peut-être à s'acquérir auprès d'ames sympathiques de ces vives prédilections moins banales que celles réservées à de plus hauts génies. Pour s'être élevés moins haut, ils comptent moins d'amis, mais ceux qu'ils ont valent peut-être mieux. Nos paroles ne veulent pas dire que tout écrivain, en n'atteignant pas le premier rang, se con- damne à n'être point populaire. Si, mesurant sa tâche à ses forces, un auteur a suivi, sans se laisser détourner, la route qu'il a choisie d'abord, talent spécial, il a pu atteindre à une perfection relative; il a été, selon les expressions consacrées, original et complet dans son genre ; les lecteurs, vite faits à sa manière, le connaissent bientôt ; il a si franchement et si nettement marqué sa place sur le théâtre de la littérature, que son nom est comme un drapeau dont la couleur tranchée ne permet pas de le confondre avec aucun autre. Aussitôt pro- noncé, ce nom a tout dit : pensée, style, couleur, tout vous apparaît, comme dans une rapide représentation. Mais com- bien est différent le sort de ces enfants vagabonds de l'intel- ligence, dont la plume amusée s'en va buissonnant dans tous les genres sans s'attacher à aucun-, comme ces conquérants, apparus un instant sur tous les points du globe en y laissant à peine un souvenir, eux, ils ont fait un pas dans tous les champs ouverts de la littérature; point de seuil où leur pied ne se soit posé, mais jamais assez longtemps pour y impri- mer une trace forte et durable. Génies errants et indiscipli- nés, on les retrouve partout et on ne leur sait de place nulle part. On les croirait nés seulement pour présager de plus grands qu'eux, ou pour en faire souvenir ; ont-ils dé- couvert, dans le domaine de l'art, quelque terre inconnue, ils n'y jettent qu'un regard nonchalant; la gloire de l'inven- tion ne leur en restera point, mais passera au génie plus