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74                    CU1T1QUE LITTÉRAIRE.

mon réveil et me carressant tout près de son haleine de fleurs
comme pour me défier de l'embrasser : c'était là que je l'at-
tendais, et, quand elle pensait à fuir, elle était prise      »
    Ce petit tableau, plein de grâces enfantines et où se pressent
déjà la jeunesse avec l'amour qui l'accompagne, est un chef-
d'œuvre, mais pourquoi Charles Nodier s'esl-il abandonné,
même dans Sêraphine, à son penchant pour les dénoûments mé-
lodramatiques? Au moins j'aurais voulu voir cette douce créa-
lion échapper h ce goût funeste ; mais elle n'a point été épar-
gnée. Il en est de même de Clémentine, de Thérèse, tfÂmélie.de
la Neuvaine de la Chandeleur, et pourtant chacune de ces Nou-
velles contient au moins quelques pages toujours heureuses,
parfois complètes et parfaites. Au point de vue de la compo-
sition, une ressemblance fâcheuse atteste trop la parenté de
toutes ces jeunes filles qui se succèdent l'une à l'autre presqu'a-
vec la même voix et le même accent : il en résulte pour la plu-
part de ces scènes d'amour une monotonie que la variété seule
des caractères pouvait sauver, mais comment n'oublierait-on
pas ces taches légères pour admirer tant de détails achevés,
pour lire des pages comme celle-ci :
        « Jem'assis, j'attendis, j'épiai, jesuivisduregard,àlra-
vers l'horison qui s'élargissaitpeu à peu, les progrés du jour nais-
sant, il survint un instant où les brumes balancées par un mou-
vement qui leur était propre, commencèrent à blanchir, à re-
lâcher leur réseau pénétré de rayons pâles, à s'éparpiller en
folles toisons, à se rouler plus vagues et plus légères à la
pointe des promontoires, à se pelotonner au loin sur les eaux
comme des bancs d'écume, à s'écheveler à la cime des arbres
à demi-défeuillés, comme ces brins de soie flottants qu'un
souffle égare dans l'air. La lumière croissait de toutes parts.
Le lac bleuit. Je distinguai à sa surface l'entrelacement de
ses rides frémissantes, mais trop peu émues pour être sonores.
On aurait entendu d'une lieue le sursaut d'un poisson reveillé