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 286               LETTRE INÉDITE DE JACOB SPON.

    Esther-Élisabeth de Waldkirch, fille de M. de Waldkirch,
  marchand de Schaffouse, résidant à Genève, âgée présente-
  ment de dix-neuf ans, étant devenue aveugle d'une maladie
 des yeux depuis l'âge de deux mois, n'a pas laissé d'être
  poussée aux belles-lettres par son père, en sorte qu'à présent
 elle sait parfaitement et également bien le français, l'alle-
 mand et le latin. Elle parle ordinairement latin avec son
 père, français avec sa mère, et allemand avec les étrangers
 de celte nation. Elle sait presque toute la Bible par cœur, et
 a bien étudié en philosophie. Elle joue des orgues et du vio-
 lon ; mais ce qui est de plus merveilleux, elle a appris à
 écrire, et voici de quelle manière on s'est pris pour lui
apprendre, son père en ayant donné l'invention. On lui fit
graver les lettres sur un ais poli assez profondément pour
en pouvoir sentir la figure avec les doigts et en suivre les
traces avec un crayon, jusqu'à ce qu'elle fût accoutumée de
former d'elle-même les caractères. Après on lui fil faire un
châssis qui tient son pupitre assuré quand elle veut écrire
et qui guide sa main pour faire ses lignes droites. Elle écrit
avec un crayon plutôt qu'avec l'encre, avec laquelle elle
pourrait tacher son papier ou laisser les mots imparfaits,
à faute d'encre. C'est de cette manière qu'elle a écrit à mon
père cette lettre, dont voici la copie :
    Viro excellentissimo Carolo Spon, medicorum principi ;
                           Lugduni.
          « Vir excellentissime,
    « Quas ad te mittit consobrinus meus litterœ, mihi prœ-
«   lsectœ fuerunt ; in quibus cum de meplurima, scriptio-
«   nis meœ rudilalem tibi ostendere decrevi. Eu! veniam
«   da curas tuas interpellare ausrc. Faxint superi ut œgrorum
«   plurium meoque solalio in his terris diù maneas inco-
«   lumis!
         « Excellente tuœ devotissima,
                                  ESTER ELISABETH A WALDKIRCH.
    « Genevœ, die xxv novemh. »