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LES CARMÉLITES. 229 par des songes impertinents; mais, le jour et la nuit, je me trouvai dans des états qui me faisaient horreur ; cette réponse du Seigneur à saint Paul, dans un cas pareil: Ma grâce te suffit, me rassura ; mais je crus que je devais opposer, à l'ennemi de mon repos, des armes offensives. Si je n'employai pas les épines comme un saint Benoît, ni le feu comme un saint Marlinien, ce fut l'équivalent de l'un et de l'autre ; et onc depuis le tentateur n'a reparu, du moins pour une guerre de cette espèce. « Le Père de Veaux m'avait, selon sa promesse, laissé la bride sur le cou après ma profession, pour ajouter à l'austé- rité commune toutes celles que mes forces et mon courage pourraient me permettre de pratiquer. Je commençai par faire le vœu de ne jamais boire de vin, pas même en danger de mort, s'il n'en fallait qu'une goutte pour prolonger ma vie. Pendant douze ans de suite, avec la permission "du Père de Veaux et le secours d'en haut, je me suis exercée à faire ser- vir à la justice divine, les membres qui avaient servi à l'ini- quité ; et une grande maladie de dix jours seulement ayant affaibli ma forte constitution, je m'en suis tenue depuis a l'aus- térité commune de la règle, et à un total abandon aux or- dres de la divine providence. « J'ai cette grâce particulière à rendre au Seigneur, que de- puis le moment où j'ai quitté le monde, jusqu'à ce jour, 10 août 1747, je ne l'ai pas regretté une seule fois, malgré les épreuves qu'il m'a fallu subir, et les violences qu'il m'a fallu faire pour vaincre ma sensibilité et renoncer à moi-même. Elles ont été si grandes ces violences, qu'en très-peu d'années mes cheveux et mes sourcils, de noirs qu'ils étaient, devin- rent blancs. Dieu m'a fait passer par le feu et par l'eau, et, dans mes plus profondes afflictions, j'ai toujours adoré la main paternelle qui ne me châtiait en cette vie que pour m'é- pargner en l'autre; la vue de mes péchés, que j'ai toujours