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70 CRITIQUE LITTÉRAIRE. M. de Vigny dans Stello. Il n'y a pas besoin pour rendre â saint Just ce qui lui est dû, d'en parler sur le ton de Barbe- Bleue, d'en faire une espèce d'être Carnivore égaré au milieu de la race humaine. Ce n'est pas de l'histoire, personne n'en doute, mais, déplus, ce sont là de vulgaires moyens de terreur, des effets de mélodrame bons à effrayer les femmes et les en- fants, des artifices qu'on devrait dédaigner au moment de se re- porter vers cette grande époque, ère de la liberté future, et dans laquelle furent proclamés, avec une hardiesse et une pro- fondeur hélas ! prématurées, lesprincipes les plus vrais des re- lations des hommes et de la vie des sociétés. Les amis du passé devraient se souvenir que les hommes de la Terreur n'avaient, pour vaincre les ennemis de leurs idées, que les armes dont la société féodale, battue en brèche, mais encore menaçante, leur avait appris à se servir. Plaignons-les : apôtres de la liberté et de l'humanité, ils étaient les fils de l'esclavage, et ils se souvinrent trop bien des leçons de leurs maîtres. Dé- plorons les misères de ce temps, mais n'allons pas chercher partout le sang pour en souiller et en effacer ces pages de notre histoire, où furent écrits les principes sublimes dont l'enfantement devait être si douloureux. Ce procédé est d'au- tant plus funeste, que les nobles cœurs sont ceux que l'on prend aisément avec cette histoire sur le ton d'un roman sentimental. Il ne faut pas rejeter, avec obstination, môme ce qui a été acheté au prix du.sang : c'est le moyen de n'en avoir jamais plus à verser. Je n'accuse pas Charles Nodier d'avoir manqué de sincé- rité. Mais y eut-il jamais un esprit moins propre à écrire l'histoire contemporaine? Trop poète et trop romanesque pour conserver au milieu des événements le sang-froid qui permet de les bien voir et de les peindre plus lard tels qu'on les a vus ; trop épris de fantastique pour voir même la vie des individus, d'un regard vrai et profond ; trop enthousiaste