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                        CHARLES NODIER.                        71

 pour se tenir en dehors des hommes et des choses et se
  montrer froidement impartial, il a pris pour règle dans ses
 Souvenirs de ne s'en rapporter qu'à son sentiment particulier,
 de ne suivre que ses intimes inspirations; de plus, ne voulant
 jamais considérer l'histoire d'en haut, mais d'en bas, se pla-
 çant dans un coin isolé, se prenant aux détails dans l'étude
 des faits comme aux traits les plus insaisissables et aux nuan-
 ces les plus légères dans ses descriptions, il ne s'est jamais
 assez élevé pour être spectateur ou juge, il a toujours été
 partie intéressée, et est demeuré constamment aveuglé. 11 a
 bien eu l'air de dire que sa règle serait le sentiment, et certes,
 l'histoire ainsi faite, c'est-à-dire, au nom de l'humanité, de
la fraternité, de la charité, comme Bossuet l'écrivit au nom
de l'Eglise, serait un grand et noble enseignement, mais
qu'on ne s'y trompe pas : le sentiment pour Nodier, c'est la
sensation, l'impression particulière, un je ne sais quoi sans
direction, dont les mouvements aveugles l'ont poussé aux
sympathies inexplicables et aux opinions bizarres. Du reste,
ces observations ont peut-être un air de pédanterie à propos
de quelques pages dans lesquelles l'auteur lui-même a de-
mandé justice pour la véracité et non pour la vérité de ses
aperçus. Mais, aujourd'hui, on semble si préoccupé d'oublier
le passé, qu'il est bon,dans des sujets aussi graves, de distin-
guer l'histoire du roman.
   Tour à tour romancier, conteur, historien, Nodier nous est
apparu avec cette nature un peu singeresse et imitatrice dont
s'accuse Montaigne quelque part, mais en même temps l'art
infini de sa composition et les ressources inépuisables de sa
forme ne nous ont point échappé. Nous allons l'entendre
bientôt, dans un style arrivé à son complet développement,
mûri par le travail et l'habitude, nous raconter les Souvenirs
de sa jeunesse. C'est là que nous trouvons Séraphine, Thé-
rèse, Amélie, Clémentine, la Nêuvaine de la Chandeleur,